De bons vieux jeux

 

Distribution digitale aidant, les offres de jeux rétro payants affluent. Alors, arnaque, bizness payant ou, plus simplement, véritable envie de faire (re)vivre certaines licences moribondes ? Réponse avec nos interlocuteurs…

Impossible aujourd’hui d’échapper à la vague de fond « rétro » dans les boutiques online. Que ce soit sur Wii Ware, PSN, Xbox Live ou encore sur PC, le retrogaming à télécharger suit une courbe ascendante que des ventes affolantes, bien meilleures que certains produits originaux proposés sur les mêmes canaux, viennent conforter. Et ce ne sont pas les résultats du PlayStation Store américain, où les classiques règnent sans partage depuis des mois, ni même les remakes/suites des classiques du point’n’click de LucasArts (Monkey Island, Sam & Max) qui contrediront cette affirmation. Pourquoi le succès de ces titres ? Une part de nostalgie sans doute, mais surtout la qualité supérieure de ces titres, comparée à une grande partie de la production indépendante actuelle. Alors pourquoi se tourner vers une distribution digitale ? Comment et pourquoi d’un retrogaming hors-la-loi est-on passé à des boutiques entièrement légales ? Les responsables de GoodOldGames, site spécialisé dans la vente de vieux jeux PC, ainsi qu’avec des développeurs ayant pris fait et parti pour des remakes de classiques répondent à nos questions!

Principale plateforme de téléchargement du retrogaming légal, Good Old Games est parti d’une simple constatation. « L’idée de Good Old Games date de 2007. Nous nous demandions comment les anciens jeux parvenaient à être aussi funs sans la qualité graphique et la physique des standards actuels. » commence Lukasz Kukawski, responsable marketing de GoodOldGames, extension de CD Projeckt (The Witcher). « Cette discussion est allée assez loin, et nous avons poussé le vice jusqu’à essayer de mettre la main sur les jeux qui avaient bercé notre enfance. Impossible de les retrouver ! Certains de ces classiques n’étaient plus disponibles dans les magasins et, s’ils l’étaient, n’étaient plus compatibles avec les systèmes d’exploitation actuels. C’est là que nous nous sommes dits : « Il faut ramener à la vie ces classiques ! » » Une volonté louable, même si tous ces hits du passé sont disponibles, depuis de nombreuses années, sur plusieurs sites, comme feu le mythique Home of the Underdogs (hotud.org) ou abadonware-france.org, du moins sous leur forme originale. A savoir qu’il est nécessaire de trifouiller dans DOSBox, ou autres émulateur de vieux systèmes d’exploitation, pour en tirer quoique ce soit, espérer les faire tourner convenablement… Mais pourquoi choisir la distribution digitale plutôt que la remise en boite et en rayonnage? « Ca a été la seconde  question que nous nous sommes posés. », poursuit Kukawski. « Comment faire pour vendre ces jeux? Avec une distribution digitale qui n’arrête pas de grossir jour après jour, le choix nous a paru évident. Il nous était ainsi possible de toucher une plus large audience, notre service étant alors global, disponible pour tous et n’importe où. De plus la distribution digitale est moins onéreuse et plus rapide que la traditionnelle. » Clairement. En sautant les étapes de la production de DVD, de boites et de mises en rayons, GOG s’est épargné de nombreuses dépenses. D’autant qu’une grande majorité des boutiques et grandes surfaces, avides de nouveautés et de turn over, auraient sûrement boudé cette remise sur le marché de jeux vieillissants.

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En plus de cette initiative, certains développeurs, soucieux de promouvoir des titres cultes du passé refaits en intégralité, n’hésitent pas à franchir le pas de la distribution digitale. C’est évidemment le cas de Telltale, studio créé par d’anciens de LucasArts, qui, aujourd’hui, produit des jeux épisodiques téléchargeables, comme les Sam & Max ou les derniers Monkey Island. Ou celui de Golgoth, studio indépendant français qui travaille d’arrache-pied pour rajeunir Toki, une licence arcade de TAD. Mais pourquoi adapter ces vieilleries ? Réponse avec Anthony De Sa Ferreira, directeur du studio Gologth : « Ce projet de remake est le résultat d’une rencontre dans un cadre professionnel avec Philippe Dessoly. Celui-ci était par coïncidence le Lead Artist sur la conversion Amiga de Toki. Pour ma part j’avais depuis longtemps l’envie de créer un modeste studio de développement de jeux vidéo, l’arrivée et le succès rencontré par les plateformes digitales, la tendance retrogaming tout cela me semblait une bonne opportunité et le bon moment pour mettre en route la machine. De plus, Toki est un projet très intéressant et réalisable au vu de notre structure » (NDLR: Toki n’est toujours pas sorti à l’heure actuelle, 4 ans après l’écriture de cet article)  Bref, cette mouvance se veut le fruit immédiat et concret de la rencontre de deux tendances actuelles : rétro et distribution digitale. Comme si ces deux-là avaient été faits pour se rencontrer…

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« Pour le choix de nos jeux présents dans notre catalogue, » souligne Kukawski « le but est de rester aussi proche que possible de notre nom « Good Old Games » (NDLR : Bons Vieux Jeux) Contrairement à d’autres boutiques en ligne, nous ne distribuons rien de nouveau (NDLR: sauf les jeux de CDProject RED, comme les Witcher) Je sais qu’il est subjectif de dire qu’un jeu est toujours nouveau, ou déjà has-been. Aussi nous avons décidé qu’ils devaient avoir au moins quatre ans. Pour la constante Good, c’est simple, nous nous référons à des jeux qui ont été acclamés, accueillis par les louanges des joueurs et critiques, ainsi qu’à des titres « cultes », passés inaperçus pour certains, mais qui ont drainé de véritables masses de fans. » Mais encore faut-il que les éditeurs/développeurs acceptent. Ainsi, pendant des années LucasArts a fait la chasse aux sites d’Abandonware, sans pour autant, proposer de solution de rechange, les empêchant, menace juridique en prime, de mettre à disposition ses classiques du point’n’click. Et pourtant l’offre GOG parait équilibrée pour les éditeurs. « Notre équipe de développement de business contacte directement les éditeurs et leur demandent s’ils acceptent d’offrir certains jeux de leur back catalogue à GOG.com. Naturellement, nous leur demandons s’ils désirent faire de l’argent avec ces jeux qui ne sont plus disponibles en rayonnages et dont ils n’utilisent plus la licence. A mon sens, GOG.com est un bon moyen pour les éditeurs de gagner de l’argent sans aucun risque, puisque nous prenons à notre compte tout le portage sur XP et Vista. » Si une vingtaine d’éditeurs ont aujourd’hui signé avec l’équipe de GOG, certains font retirer leurs titres du catalogue de GOG, comme Codemasters, dont les Operation Flashpoint, Colin MacRae 2005 ou Toca Race Driver 3 ont disparu de GoodOldGames du jour au lendemain. Sans doute pour les proposer sur d’autres plateformes de téléchargement, plus rémunératrices. Steam, peut-être ? En contrepartie, Ubisoft vient, lui, de signer pour une distribution de ses titres passés, dont Prince of Persia : Les sables du temps. Alors, bientôt du Iron Lord ? Pour les studios désireux de remaker, de redonner vie à des licences, la tâche est encore moins simple. Anthony De Sa Ferreira raconte : « Nous avons fait une recherche longue et fastidieuse, Toki étant sorti en 1989 et toutes les entreprises liées de près ou de loin étant maintenant fermées : Tad Corporation, Data East. Nous avons appris par la suite que le catalogue des licences Data East avait été revendu à deux sociétés Japonaises. Nous sommes donc entrés en contact avec eux, et nous en avons profité pour signer quelques contrats. » Avoir des jeux, c’est bien, réussir à attirer le consommateur, c’est encore mieux…

Et comment attirer le chaland, si ce n’est en lui proposant de vérifier par lui-même la qualité de l’expérience. Si pour les jeux PSN et XBLA, le choix de la démo est opportun, pour d’autres boutiques online, comme GameTap ou GOG, la gratuité de quelques titres choisis à escient s’avère un véritable moteur. « Offrir des jeux gratuits est une manière d’encourager les consommateurs à expérimenter GOG.com. » explique Kukawski.  « Ainsi, ils peuvent voir par eux-mêmes que notre service est très simple d’emploi, que les téléchargements sont rapides… Nous croyons que chacun doit pouvoir essayer un produit avant de dépenser de l’argent. D’où la présence de Beneath a Steel Sky ou de Lure of the Temptress. » Mais, si la spécificité de GOG – l’absence de solution anti-piratage, autrement nommée DRM- le rend unique, l’ombre des mastodontes de la distribution digitale plane de plus en plus sur ce marché, Steam en premier rang. « Steam est aujourd’hui le plus gros service de distribution dématérialisée de jeux. » rappelle Kukawski. « Ils sont là depuis six à huit ans, et pourtant, ils n’offrent aucun titre sans protection DRM. Pour eux, il est donc plus facile d’acquérir des jeux auprès des éditeurs les plus réticents, puisque ces derniers ne risquent à aucun moment d’être piratés. D’ailleurs depuis peu, ils ont mis en ligne de vieux titres.» En effet, depuis quelques mois, la plateforme de téléchargement de Valve propose par exemple les point & click cultes de LucasArts : Loom, The Dig et les Indiana Jones, indisponibles depuis longtemps, sauf illégalement et en se servant de ScummVM (un programme pour lire tous les jeux utilisant l’interpréteur SCUMM créé par Ron Gilbert). Comme quoi, il « suffisait » de promettre une protection anti-piratage, et d’aligner quelques milliers de dollars pour que LucasArts ploie. Inutile de dire que si Steam met les moyens, marketings et financiers, pour s’attaquer au marché du rétro, les boutiques en ligne spécialisées risquent de souffrir, voire de trépasser les unes après les autres. Même si elles proposent du gratuit…

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Mais, finalement, est-ce rentable ? Parce qu’une fois le désir de préservation des vieux jeux accompli, qu’en est-il de le santé de l’entreprise ? « Je ne peux pas partager nos chiffres avec vous, » dit Kukawski, « mais nos chiffres de vente et nos nouveaux utilisateurs n’ont de cesse d’augmenter avec le temps. En fait nous dépassons nos propres projections chaque mois, avec une expansion d’environ 10% et plus. » En juin dernier, Telltale Games fêtait, lui, son cinquième anniversaire et son millionième épisode téléchargé, passant depuis ses débuts de dix à soixante-cinq salariés. Alors optimiste pour le futur du passé ? « Je pense que la mode va encore grandir. » explique Kukawski. « Je pense que l’on va voir apparaître un mouvement similaire à celui que l’on a vu apparaître avec la musique ou les films… Nous ne pouvons nous permettre de laisser disparaître toute une part de l’histoire vidéoludique. J’ai grandi avec ces jeux, et j’adore rejouer à Cannon Fodder, Duke Nukem 3D ou Fallout. Que la génération actuelle, celle qui joue à Fallout 3 ou à Modern Warfare ne sache rien des titres qui ont permis à ces hits d’exister, serait désespérant. Ce sont ces vieux jeux qui ont installé les codes, créé les genres… » Ne pas les connaître, ce serait évidemment tout ignorer des évolutions du marché, des franchises, comment l’industrie, les studios ont installé les habitudes des joueurs. Cependant, si la solution de la distribution digitale semble idyllique pour le moment, il devient de plus en plus difficile de proposer ses logiciels. Ainsi que l’explique Martyn Brown, PDG de Team 17 : « Je sais que de nombreuses requêtes sont envoyées au Live Arcade, mais les élus sont finalement assez peu nombreux et la place est chère. De plus en plus chère…» Ce qui n’empêche pas Anthony De Sa Ferreira d’être particulièrement optimiste sur la possibilité d’un remake de trouver sa place sur l’une de ces boutiques en ligne. « Pour l’instant nous sommes en phase d’approbation avec un first party, nous venons de livrer une démo jouable, nous sommes donc en attente d’une réponse. Si celle-ci s’avère négative Nous avons d’autres opportunités en matière de distribution digitale. » Faut-il alors déjà repenser l’approche de GOG, ou des boutiques en ligne des diverses consoles ? Faut-il imaginer d’autres canaux de distribution, plus institutionnels peut-être?

Alors, oui, évidemment, il y a sans doute quelque chose de rageant à voir apparaître ces boutiques de vieux jeux. Pourquoi faire payer un Final Fantasy VII plusieurs fois rentabilisés par Square, ou devoir repasser à la caisse parce que sa version de Fallout ne passe plus sur son système d’exploitation actuel ? Et pourtant, en rapprochant la logique de GOG ou des jeux XBLA, PSN ou Wii Ware à celle de l’édition de long-métrages restaurés, cette politique se révèle finalement pertinente, imparable. Quitte à rejouer à un vieux jeu aujourd’hui, autant ne pas avoir à s’embarrasser d’une installation compliquée ou, pour les remakes, de graphismes et d’une maniabilité vraiment datés. C’est cette facilité d’utilisation, cette prise en main immédiate, ce chargement à partir de bases de données online et officielles – plus durables sans doute que celles des sites d’Abandonware-, qui permettra à ces vieux titres de survivre, et peut-être de toucher des générations qui n’ont pas connu les plaisirs de la 2D ou les babillages des premiers moteurs 3D. Et puisque l’on paye, souvent chère, la restauration des œuvres de Charlie Chaplin, pourquoi ne devrait-on pas sacrifier quelques euros pour un MDK, un Oddworld ou un Secret of Monkey Island, entièrement ravalé ?

(Article paru dans Joypad 202)

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