La longue Interview: Chris Avellone

Avellone

Auteur du culte Planescape : Torment et co-fondateur d’Obsidian, Chris Avellone s’entretient avec nous des RPGs solo et de l’écriture des personnages.

Quel a été votre premier contact avec le jeu vidéo ?

Quand j’ai vu un de mes amis jouer à Bard’s Tale 2 sur son Commodore 64. J’ai été hypnotisé, happé.  Je savais ce que je voulais. Mieux que ça, je n’avais plus à attendre les sessions de jeu de rôle hebdomadaires, ou à martyriser/menacer un maître de jeu chaque semaine pour qu’il nous embarque dans une aventure. A l’époque, nous avions un déficit de maître de jeu dans le voisinage, je tenais donc souvent ce rôle. A partir de là, j’ai joué à Bard’s Tale 1, à Eternal Dagger, à Ultima III, IV, V, à Wasteland, Might and Magic 1,2

Avant de travailler dans le jeu vidéo, vous avez écrit des suppléments pour jeux de rôle. Pourquoi avoir arrêté ?

En fait, j’ai diminué ma production en débutant ma carrière dans le développement de jeux vidéo. Bien que j’aie aimé écrire pour le jeu Champions, ça ne remboursait pas mes dettes, et la promesse d’un gros chèque de la part de la division Dragonplay (Dungeons  & Dragons) d’Interplay était franchement attirante. Au-delà de cette attraction, il y a eu un véritable émerveillement, suivi d’un « Il y a des designers de modules pour les jeux vidéo? Wow. Et ils gagnent de l’argent? Sans blague! »

Les plupart de mes écrits pour les jeux de rôles (du moins, ceux qui ont été acceptés) ont été publiés pour la ligne Dark Champions de Hero Games, qui était leur monde pour des super-héros alternatifs, undergounds. J’ai développé de nombreux personnages et du background basé sur mon amour de Batman et du thème des « superpouvoirs de bas niveau ». De toutes mes créations, mes préférées sont Ashtray Art, un poète capable de projeter du feu qui est littéralement amoureux des flammes, Idiot King, un personnage surdoué mais mathématiquement analphabète, et enfin un type qui utilisait ses scalpels pour refaire son visage à l’identique de ceux de ses victimes. Ca a été un bon entraînement pour entrer dans l’industrie du jeu vidéo. Surtout quand j’en suis venu à scripter les personnages !

Et puis vous arrivez à Interplay et Black Isle… Comment était-ce de travailler sur Fallout 2, sachant que les créateurs originaux venaient de quitter Interplay ?

Très fatiguant. Je travaillais en même temps comme lead designer sur Planescape. Aussi tout ce dont je me souviens c’est de longues, trop longues heures passées devant l’écran et de kilos en trop. C’était d’autant plus dur que le calendrier était vraiment serré et qu’on nous avait fait comprendre qu’il fallait le respecter sans quoi une autre section de l’entreprise récupérerait le bébé… J’étais triste de voir Tim Cain (Fallout) quitter Interplay, mais je pense que Troïka Games, l’entreprise qu’il a ensuite créé avec Leonard Boyarsky et Jason Anderson, a été une expérience plus intéressante que s’ils étaient restés à Interplay à cette époque.

Pendant votre période Black Isle, vous travailliez sur Fallout 3 et Baldur’s Gate III. Puis, plus rien. Qu’est-il arrivé ?

Je travaillais sur les deux jeux, mais Interplay a perdu les droit de Baldur’s Gate III, la faute à une erreur de comptabilité. Tout le monde est alors passé sur Fallout 3. Quand c’est arrivé, Feargus (Urquhart, directeur et fondateur de Black Isle, et maintenant d’Obsidian) a donné sa démission, et je l’ai rapidement suivi. Si Feargus n’était plus à Black Isle, je n’avais plus de raison de rester. Je ne pensais pas que la division pouvait survivre aux décisions prises par les exécutifs, et l’abandon de Baldur’s Gate III en était la preuve. Nous avions tellement travaillé sur ce titre, et tout jeter par la fenêtre pour une simple erreur… Pas vraiment encourageant…

Ne vous trompez pas, je voulais faire Fallout 3 plus que tout, mais tout indiquait que nos efforts seraient vains. Et ça l’a été. Malheureusement. J’ai vu la démo que certains développeurs de Black Isle ont créé pour montrer leur moteur, et la réaction des exécutifs a été « Bien, je pense que tout ça est bon, mais nous ne ferons plus de jeux PC… » Une perte de temps totale, frustrante. Heureusement, à Obsidian, nous avons recueilli ceux qui quittaient Black Isle, et la vie  a continué. Deux ans, voire dans mon cas, plus de trois, ont été gaspillées sans raison.

Planescape : Torment est devenu un jeu culte pour de nombreux joueurs de RPG PC. Comment le ressentez-vous ?

Ca m’aide, ainsi que tous ceux qui ont travaillé dessus, à réaliser que toutes les heures, tout le sang, toute la sueur que nous avons mis dedans ont été appréciés. Il y a eu des jours sombres à Interplay, durant lesquels ma seule pensée était «  Personne ne va aimer ça. » Et le fait que certains joueurs l’aient aimé, au point de l’aduler, est un véritable soulagement.

Si Torment a été un de premiers jeux à mettre en scènes philosophies et idéologies, leur présence est maintenant plus courante dans les jeux, comme dans BioShock.

Je pense que c’est une bonne chose, et cela prouve que la narration et les thèmes évoluent jusqu’à égaler ceux des autres média. C’est d’autant plus intéressant que vous intéragissez avec des personnifications de ces philosophies, comme dans BioShock. Ca permet au joueur d’en apprendre plus sur lui-même, en tant que joueur et qu’être humain.

Vos jeux sont connus pour leurs personnages, souvent étranges, insondables. Quelles sont vos recettes ?

J’ai toujours pensé que la clef de la réussite d’un RPG tenait dans ses personnages. Quand c’est possible, j’essaie de créer des héros qui, d’une seule phrase descriptive, puissent accrocher le joueur, le rendre curieux sur ce qu’ils sont, sur leur passé. Par exemple, Fall-From-Grace dans Planescape : Torment était basée sur un simple thème : une succube chaste. Une fois ces éléments amenés au joueur, le but est alors que celui-ci s’interroge sur les motivations du personnage, sur ce qui a causé ce comportement.  Pourquoi a-t-elle tourné le dos à l’instinct naturel des succubes ? Est-elle en proie à des conflits internes, dus au rejet de sa nature première ? Et, comment ses interrogations se reflètent dans le questionnement du joueur a propos de sa propre nature dans Torment ? Et ainsi de suite… L’idée est de créer des personnages à la psychologie à couches multiples, des personnages qui peuvent éclairer le joueur et sa situation sous une lumière différente.

Quant aux romances, j’ai toujours pensé qu’il valait mieux les laisser en suspens, incomplètes, qu’elles avaient plus de puissance alors. Même si Georges Ziets m’a prouvé le contraire dans Mask of the Betrayer (un Add-on pour NeverWinter Nights 2), avec le personnage de Gannayev. En général, je préfère les conflits dans les relations entre personnages. La tension et le drame y sont alors plus prégnants… Quand aux résolutions des romances, elles tendent à être ennuyeuses quand votre but est de distraire !

Vous avez passé quatre ans à développer Fallout 3. Quelle est votre opinion sur la version de Bethesda ? De quoi était-il question dans votre version ?

Je pense que Bethesda fera du bon travail… L’histoire que j’avais proposée pour Fallout 3 mettait en scène le « dilemme du prisonnier », mais dans l’univers de Fallout. L’idée était qu’au lieu de combattre quelque chose de purement maléfique, on pouvait tirer bénéfice d’une coopération avec les « bad guys ». En plus de ce thème, on y retrouvait des pestes de l’Ancien Monde, un prototype ZAX, des scientifiques du passé qui auraient hiberné, de nombreuses références à Wasteland, des aventures sur les toits d’un Denver infesté de chiens, une guerre civile au sein de la Confrérie de l’acier et un satellite parlant. Et encore plein d’autres choses du même tonneau. J’étais très excité par ce jeu…

Vous avez surtout travaillé sur des jeux à la troisième personne. Que pensez-vous des jeux à la 1ère personne ?

J’aime les RPG à la première personne, d’autant que cette vue est parfaite pour l’immersion, quel que soit le genre abordé.  La vraie difficulté est de réussir à implémenter des combats de mêlée de façon satisfaisante. Donner l’impression au joueur de réellement donner des coups d’épées ou de hache est vraiment difficile.

 

Avec l’explosion des MMO, y-a-t’il encore de la place pour les RPG en solo ?

Oui, il y a un futur pour ce genre. Principalement, parce qu’il y aura toujours un marché pour les RPG qui ont une fin, pour les RPG qui peuvent se terminer. Le genre d’histoires et d’interactions où le joueur peut, du début à la fin, vivre une expérience, à chaque fois différente. Ce que le MMO ne peut pas… Non que les MMO ne soient pas amusants, mais, et je le confesse, j’aime autant jouer en solo à World of WarCraft qu’avec une guilde !

Mass Effect, Oblivion ou Alpha Protocol sont des jeux plus orientés action. Cette évolution transforme-t-elle le rôle du designer ?

Pas vraiment. Il y a des changements en terme de level design pour correspondre aux nouveaux mécanismes de gameplay, et peut-être plus d’attention portée sur les espaces en 3D et les interactions possibles avec celui-ci. Mais, du point de vue d’un lead designer, les systèmes, les interactions entre personnages et autres n’ont que peu évolué… D’autant que nous profitons de nos expériences passées.

Diriez-vous que votre expérience dans le jeu de rôle papier vous a aidé ? Comment ?

Il n’y a rien de plus brutal que d’être maître de jeu de cinq ou six joueurs de façon hebdomadaire. Et je pense qu’aucune autre expérience ne vous prépare aussi bien à être game designer. Vous sacrifiez votre temps, votre énergie et, en supposant que vous écrivez des modules et des aventures vous-mêmes (ce que je faisais), vous devez vous assurer que chaque personnage ait une chance de briller, d’être important, en plus d’équilibrer le module pour chaque membre de l’équipe…

Être maître de jeu vous permet d’avoir des retours positifs ou négatifs immédiats sur ce que vous auriez dû ou n’auriez pas dû faire. Ce qui est facilement traduisible dans un RPG sur ordinateur ou console. Je n’ai eu qu’une seule mauvaise expérience en tant que maître de jeu à Warhammer. J’avais retiré tous les équipements à mes joueurs (temporairement, mais j’étais le seul à le savoir) et les ai transformés en esclaves dans les arènes de Kislev. Sur la table de jeu, la rébellion n’a pas tardé et elle m’a ouvert les yeux sur de nombreuses choses (à ne pas faire!). Et c’est aussi la raison pour laquelle j’ai commencé à porter un casque et une armure à chaque session de jeu.

Vous êtes aussi scénariste de comics et il y a ce comic strip que vous dessinez… Où trouvez-vous le temps de tout faire?

Beaucoup, beaucoup de café ! Et puis, pour être honnête, tout ce que je fais est souvent plus amusant que mon travail, ce n’est alors pas très dur de trouver du temps… Dessiner, écrire des comics sont des activités créatrices qui me permettent de changer d’air à mon cerveau…

Vous avez écrit, dans votre blog, que vous n’aviez jamais eu l’occasion de créer votre univers… Quel serait-il alors?

Ce serait notre univers, mais rempli de pouvoirs rigolos. En guise d’exercice, je me suis imaginé donner des superpouvoirs à des gens que j’avais connus à l’université, des pouvoirs qui seraient liés à leur personnalité. Imaginez un monde proche de celui-là et vous serez assez proche de mon idée. J’ai bien entendu d’autres idées de monde, mais je les garde pour de potentiels jeux à venir !

Paru dans Joypad HS aout 2008

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