L’enfer dans les oreilles

 

Dès que l’on pense à Diablo, ce sont souvent du loot, des classes, voire de l’affrontement final, dont on se souvient. Moi, la première chose qui me vient à l’esprit, ce n’est pas sa création procédurale de niveaux, sa mythologie ou ses cinématiques, mais bien sa bande son, cet arrière plan musical qui tisse en sous-texte une ambiance, une atmosphère que les pâles graphismes de la franchise n’ont jamais que suggéré. D’ailleurs, plus j’y pense, plus je me dis que même avec de l’ASCII pour illustrer ses donjons, les compos de Diablo I et II marcheraient du tonnerre… Le truc, c’est qu’on a bien souvent tendance à penser qu’à représentation de l’Enfer ne correspond qu’un certain type de musique. Je vous renvoie aux chœurs des petits chanteurs à la croix renversée du film Damien, ou alors au Heavy-Death-Black Metal dans son illustration forcément grand guignol de cette thématique. On a beau aimé de Iron Maiden (The Number of the Beast) à  Morbid Angel, à un moment, tout le décorum pseudo satanique fait doucement sourire. « Mais, oui, et le démon, il t’a arraché ton âme et ta mère suce des b…. en Enfer ! » Bref… Pour donner un véritable sens sonore à cette descente dans les neuf cercles infernaux, il fallait une personnalité musicale autre, il fallait la touche d’un compositeur extérieur au monde du jeu vidéo, quelqu’un qui ne se balade pas avec un tee-shirt de heavy metal de préférence. Un Matt Uelmen tiens, docteur en musicologie (Phd sur la musique cannibale, oui, c’est possible!), autant passionné par le folklore nord-américain que par des partitions moins évidentes, plus tribales, polyrythmiques. Et, sans lui, sans sa touche toute personnelle, un Diablo n’est pas un Diablo, comme amputé d’un de ses fondamentaux, d’un de ses piliers. En fait, tout le génie de Uelmen est d’avoir opté, sans doute par défaut, pour une bande son atmosphérique, délaissant les effets trop faciles de l’illustration pure pour se concentrer sur des thèmes récurrents.  Ici, à chaque lieu, son tissage de thèmes simples : deux-trois notes qui jaillissent d’un brouhaha/bourdonnement infernal/chaos sonore, des croches qui bondissent comme autant d’épiphanies, illuminent, justifient toute le progression, montée en volume et fréquence précédentes. Là, une rythmique en palm-muting qui, en fin du thème Wilderness, le relance efficacement, plus loin (thème Toru), c’est une gamme orientale qui pose l’ambiance: trois notes, et un trémolo suffisent. En fait, Uelmen, c’est l’économie de moyens. Nul besoin de sortir l’orchestral troupier ou de faire vrombir cors et cuivres, ce sont le timbre des instruments, le choix des gammes et/ou constructions rythmiques inusuelles, qui font de ses compositions des choses musicales étonnantes. Comme si, prisonnier du carcan hack’n slash (impossible de vraiment illustrer chaque combat puisqu’il y en a un toutes les deux secondes), Uelmen s’était évertué à rendre ses boucles aussi intrigantes que possible, s’amusant au besoin avec les contretemps. Impossible d’avoir joué à Diablo sans se souvenir de ce premier accord brossé – delay élevé en prime- à Tristram, ou de certaines mélodies, brèves, sonorités plus aigues, distordues, qui s’échappent du chaos de nappes de la deuxième partie de Catacombs. Ou alors, toujours sur le même titre, un peu plus loin, ces samples de cris auxquels répondent des accords de harpe. Enfin, il y a cette omniprésence obsédante des percussions, parfois pesantes et martiales, tribales, parfois arythmiques, destructurantes ou ponts entre deux parties du morceau. L’enfer n’a jamais été aussi délicieusement… sonorisé. Aussi, en jouant à Diablo III, on tire un peu une gueule de trois mètres de long. Pas d’Uelmen, pas de cette folie, pas de ce chaos, rien ne reste de cet enfer musical qu’il avait créé/géré avec autant d’intelligence qu’un Yamaoka dans l’écurie Survival Horror de Silent Hill… Galère !

Paru dans JoyStick HS Blizzard

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