Du roman au jeu vidéo

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Au début, il y a eu le mot… Ou le Verbe, jenesaisplusjaioublié. Si, si. Souvenez-vous, ces fictions interactives qui font la joie d’un Sheldon Cooper dans The Big Bang Theory (Saison 4, épisode 6), ou ce Zork à débloquer au début du premier Black Ops. Bref, au début, il y a eu ces aventures textuelles, et d’abord Colossal Cave Adventure (ou Colossal Cave, ou Advent en fonction des versions) de Willie Crowther qui déboule sur les campus américains en 1975. Rapidement, des développeurs (amateurs pour la plupart) s’emparent de ce genre, et adaptent les classiques de la littérature, principalement fantastique. Des exemples ? Frankenstein(1981), The Hobbit (1982), Les dix petits nègres (1983), Le guide du routard galactique (1984), The Mist (1984, oui, oui, celui de Stephen King), Lancelot (1988), Wonderland (1990)… Des adaptations souvent proches des œuvres originales, aux analyseurs syntaxiques rudes, abrupts, inflexibles et rigides, qui ne s’encombrent jamais (ou très peu) d’une réflexion sur « comment adapter ». Normal, rien à l’époque ne retranscrit mieux le mot… que le mot. Reprendre les descriptions, le style, une police d’écriture gothique sur fond noir (Frankenstein) suffit pour renvoyer immédiatement à l’œuvre originale, ou à une « image mentale» de cette œuvre. Par exemple The Hound of Shadow (chez les Artistes Electroniques !) d’après Lovecraft, s’inspire des tics de l’écrivain de Providence pour rendre l’inquiétante étrangeté de ses écrits… Oh, il y a bien d’autres genres qui retranscrivent les aventures de héros de papier, comme de l’action/plateforme avec Conan : Hall of Volta (1984), mais c’est une minorité face au poids écrasant des aventures textuelles. Il faut en fait attendre la fin des années 80 pour voir plus ou moins disparaître ces dernières, supplantées par des créations plus visuelles, mais, finalement cantonnées à des genres très balisés.

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Vers la fin des années 80 donc, les adaptations de romans empruntent de nouvelles voies, monopolisent les genres en fonction de leur scénario, de leur univers. Ainsi, assez logiquement – l’œuvre de Tolkien a été un déclencheur dans la création des jeux de rôles papier-, Le Seigneur des anneaux, version Interplay (Brian Fargo inside), reprend les codes du RPG alors en vigueur : vue du dessus, combat au tour par tour, missions annexes… Bref, le petit Ultima illustré, le tout agrémenté de textes à lire dans un gros booklet, et notamment des descriptions tellement longues que les développeurs ont préféré les proposer en annexe physique. Là, encore, malgré une volonté de s’écarter du média original, on en revient au texte fondateur, au mot imprimé. Comme si les pixels, les sprites étaient incapables de rendre par le détail la Moria, la Comté ou le brûlant Balrog. Evidemment, de nombreux univers romanesque de fantasy se fondent dans ce moule RPG : Shannara, La roue du temps, etc. Logique. L’année suivante, Conan : The Cimmerian (encore lui !) alterne action en temps réel, vue de côté, façon jeu de combat (rigide et mollasson), caméra au-dessus de l’action lors des déplacements en ville et carte dès qu’il s’agit de se mouvoir dans le monde. Ici, la rupture avec les textes, avec les romans et nouvelles, est consommée : c’est l’univers (Pulp, cliché) qui compte, son personnage, ainsi que sa mise en scène. Le raisonnement des développeurs se révèle, par ailleurs, d’une logique implacable : puisque le personnage de Robert Howard n’a pas besoin de longs dialogues, pourquoi ne pas en faire un héros de jeu d’action ? Encore une fois, Conan (et quelques autres) jouent l’avant-garde puisque la plupart des développeurs se confrontant  à des œuvres de fiction préfèrent alors se caler sur les évolutions/transformations du jeu d’aventure.

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Que ce soient Neuromancer (1990), Discworld (1994) ou I Have No Mouth and I Must Scream (1995), tous s’arrangent d’une interactivité à la Lucasarts. Choix de mots (ou d’icônes) dans une liste préétablie, interaction avec des objets à l’écran, dialogues écrits parfois à choix. Comme s’il y avait là une sorte d’évidence, qu’un roman ne pouvait être retranscrit, adapté que par une action réfléchie et une suite de puzzles. Myst, nouvel étalon du genre aventure à partir de 1993, bouleverse ce présupposé. Finis les mots encombrants, plus besoin d’écrits qui viennent parasiter l’aventure. Ainsi que le démontrent les livres-mondes imaginés par les frères Miller, l’aventure se veut désormais entièrement visuelle, l’interaction immédiate, là, sur l’écran, sans passer par une quelconque description. Tout est là, devant le joueur. Pourquoi décrire, par le texte, par une voix off, lorsque l’on peut montrer ? Les studios s’engouffrent dans cette nouvelle voie, et accouchent de belles réussites ou de monstruosités. Il y a The Dark Eye (1995) qui rejoue certaines nouvelles et poèmes d’Edgar Allan Poe, Dracula : The Resurrection (1999), Le monde de Sophie (1997), Rama (1995), Frankenstein (1995)… En parallèle, les moteurs graphiques explosent, mettent en scène des univers de plus en plus beaux, précis, aux polygones toujours plu nombreux… Si le mot n’est plus essentiel pour raconter une histoire, pourquoi ne pas carrément taper dans d’autres genres, a priori plus éloignés, voire en créer de nouveaux ?

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Avec la montée en puissance des machines, les adaptations de romans vont donc voir ailleurs. L’aventure horrifique avec Alone in the Dark, puis Dark Corners of the Earth, le FPS avec S.T.A.L.K.E.R., le MMORPG avec Le seigneur des anneaux Online ou Age of Conan, l’action/aventure avec American McGee’s Alice, etc. Désormais, l’image mouvante, en action, peut rivaliser avec le pouvoir évocateur des mots et mettre en scène un univers, avec autant si ce n’est plus de détails, et ce sans passer par les « lourdeurs » textuelles passées. Mieux, en passant du mot à l’image pure, au gameplay immédiat, le jeu vidéo coupe franchement le cordon ombilical qui le relie à l’œuvre originale, pour en faire autre chose. Reste que, et les développeurs de The Witcher nous l’expliquaient en interview, travailler sur une franchise signifie inscrire sa réflexion dans des limites clairement imposée par l’univers, par la caractérisation de ses personnages, par ses concepts fondateurs. C’est de même ce que font la plupart des derniers Sherlock Holmes chez Frogwares. Le reste ? L’histoire ? On en fait ce que l’on veut. Les personnages secondaires ? On les invente, si besoin. Ici, on ne parlera plus d’adaptations, mais d’inspirations, de réécriture, voire, et c’est encore mieux, d’appropriations, d’interprétations. Tout comme Sherlock, l’excellente série télé qui redonne sens et contexte à un héros vieux de plus d’une centaine d’années, l’éclaire sous un nouvel angle, plus actuel. Alors, oui, on se chagrinera sans doute de la disparition de genres littéraires (comme le jeu d’aventure textuel), plus porteurs d’imaginaires que n’importe paquet de polygones, mais l’évolution vidéoludique n’aime pas la marche arrière!

>>>> Annexe

Et la BD ?

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On peut dire qu’elle a suivi les mêmes tendances que son ancêtre plus lettré. D’abord une reprise immédiate de ses codes (Les Passagers du temps) transformés à l’aune d’une interactivité simpliste, puis une exploitation via genres (de l’action/shoot avec Bob Morane, de la stratégie avec Nord & Sud, du RPG/aventure avec La quête de l’oiseau du temps, de l’action/aventure avec Ranx, du point’n click très expérimental avec Slaine : The Celtic Barbarian), en fonction des titres, personnages et univers. Avec XIII, le FPS cel shadé d’Ubisoft, on arrive à une sorte de parfaite symbiose entre fond et forme.

3 réflexions sur “Du roman au jeu vidéo

  1. Chouette article, merci. Vous dites que le jeu d’aventure textuel a disparu. Il est en effet devenu (très) confidentiel. La sortie récente du jeu Cypher a eu ce mérite de rappeler aux joueurs que les premiers jeux d’aventure, c’était du texte (même si Cypher ce n’est pas que du texte).

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