Une heure avec Atsushi Inaba

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Fondateur de Platinum Games, créateur de génie, Atsushi Inaba revenait, lors du press tour MadWorld, sur sa carrière. Souvenirs.

Quelle a été votre première expérience vidéoludique ?

Ma première expérience vidéoludique ? Space Invaders, quand j’étais enfant. En fait, quand j’avais sept ou huit ans, je traînais souvent dans une salle d’arcade près de chez moi. Si je passais beaucoup de temps là-bas, c’est parce que les tarifs étaient vraiment très bas ! Je jouais énormément, à presque tous les jeux : Space Invaders, Galaga, Galaxian…  Si je mets de côté Space Invaders,qui a été développé par Taito, tous les jeux auxquels je jouais étaient produits par Namco. Pour moi, les développeurs de cette entreprise étaient des dieux incarnés sur terre. Il fallait absolument que je rentre dans cette industrie, que je sache qui étaient ces gens et que je devienne comme eux, que je créé des jeux vidéo.

Est-ce que ça a été le déclic à votre vocation ?

Non, ça a été un peu plus tard. Je me suis acheté un ordinateur, pas très puissant si on le compare aux monstres actuels… C’était un Apple II, je crois. On ne pouvait pas faire grand-chose avec. Aussi je m’amusais à modifier les jeux, à en changer les lignes de code. J’avais 11 ans et je n’avais qu’une idée en tête, comprendre comment étaient construits ces jeux, comprendre comment ils marchaient. Aussi trafiquer les softs des autres a sans doute été la meilleure école au monde ! Je voulais être programmeur, et pas autre chose.  Les ordinateurs étaient chers à l’époque, on ne pouvait en acheter sur un coup de tête comme aujourd’hui. Alors, quand j’ai demandé à ma mère de m’en procurer un, je lui ai promis que lorsque je serais un créateur de jeu riche et célèbre, je lui achèterais une maison et une bague avec un gros diamant dessus. Aujourd’hui, elle me rappelle assez souvent ma promesse : « Dis donc, elle est où la bague que tu m’avais promise ? » (rires)

Vous avez travaillé pour de nombreux développeurs : SNK, Irem, Capcom. Que retenez-vous de votre passage chez chacun d’entre eux ?

Ce qu’il faut savoir c’est que SNK, Irem et Capcom sont situés à Osaka, contrairement à la plupart des studios de jeu vidéo qui sont installés à Tokyo. Dans les années 80-90, les développeurs d’Osaka étaient souvent considérés comme des mauvais garçons, des développeurs sans limites. On pouvait se permettre de faire, de créer les jeux qui nous plaisaient, de tenter des expériences auxquelles les créateurs de Tokyo n’auraient jamais pu penser. Ca nous laissait beaucoup, beaucoup de liberté.

Est-ce toujours vrai aujourd’hui ou les développeurs d’Osaka sont-ils rentrés dans le rang ?

A mon sens, cette différence est toujours d’actualité aujourd’hui. Je prends l’exemple de MadWorld. MadWorld, c’est un jeu trop violent, excessif, tellement brutal et barbare que ça en devient drôle. Je pense que c’est parce qu’on est à Osaka qu’on peut se permettre ce genre de choses. Si MadWorld avait été développé à Tokyo, la direction aurait sans aucun doute bridé les créateurs, aurait placé des barrières à ne pas dépasser. MadWorld, c’est un jeu façon Osaka. Sans retenue, sans censure, radical.

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Il semblerait que votre passage chez SNK ne vous ait pas laissé un souvenir impérissable… Pour quelles raisons ?

Pourquoi ça ne fait pas parti de mes meilleurs souvenirs… (rires) Je ne suis pas rentré chez SNK de gaîté de cœur. A l’origine, je travaillais pour NASCA, le développeur de la série Metal Slug,  une filiale de SNK qui a, ensuite, été réabsorbée. Comme vous le savez, SNK produisait énormément de jeux de baston, comme les King Of Fighters ou les Fatal Fury. Et ce n’était pas du tout le genre de jeux que je voulais créer… Je n’étais pas là par choix et pourtant j’étais obligé de travailler sur des jeux qui ne m’intéressaient pas. Ce n’est pas parce que SNK était une mauvaise compagnie que je suis parti, mais tout simplement parce que les plans à moyens et longs termes ne concernaient que l’exploitation de licences de combat en arcade. Je suis juste parti chez Capcom parce que le format console me semblait plus à même de véhiculer mes idées. Je n’ai rien contre SNK, j’y ai encore des amis, mais l’entreprise ne me correspondait pas du tout. Voilà tout.

Pourquoi avoir postulé à Capcom ? Pour Resident Evil ?

Oui, pour Resident Evil ! Pendant une pause, alors que je travaillais toujours chez SNK, j’ouvre Famitsu (NDLR : magazine de jeu vidéo leader au Japon) et je vois une annonce de recrutement pour le prochain Resident Evil, le 2 venant tout juste de sortir. Je me suis dit : «  C’est ma chance ! ». J’ai postulé et j’ai été pris.

Avez-vous été frustré alors de ne jamais réellement participer au développement d’un Resident Evil ?

Lorsque j’ai passé mon entretien d’embauche, on m’a dit : « Votre profil nous intéresse beaucoup, mais nous pensons que vous seriez mieux dans une autre équipe que celle de Resident Evil, mais toujours en tant que producteur. » J’ai eu beau insister pour intégrer l’équipe de Resident Evil,  j’ai fini par atterrir dans une autre équipe. En fait, à produire d’autres jeux qui étaient finalement miens, ça m’a permis de ne pas me sentir frustré…

Pour quelles raisons avoir créé Clover ?

A l’époque, chez Capcom, le mot d’ordre était d’exploiter les séries qui existaient déjà. Moi, j’étais plutôt pour créer de nouvelles choses, imaginer de nouveaux défis, se lancer dans de nouveaux challenges. La situation ne me convenait absolument pas. J’ai donc proposé de fonder un studio à part qui ne travaillerait que sur des idées originales. Je ne pense pas qu’on puisse faire le même jeu indéfiniment, il faut un souffle de créativité. Clover, c’était un peu ça.

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Ca a aussi été un moyen de soutenir des jeux qui, autrement, n’auraient pas trouvé leur place chez Capcom !

Effectivement, lorsque j’ai lancé les idées de Steel Battalion ou de Phoenix Wright, Capcom ne comprenait pas où je voulais en venir. On a essayé de m’expliquer que Capcom n’avait pas besoin de ces « jeux », qu’ils ne serviraient à rien, ne feraient pas rentrer plus d’argent dans les caisses de l’entreprise. Ca a été très difficile pour moi de réussir à les sortir, une véritable bataille entre moi et la direction. C’est ce qui m’a donné l’idée de fonder Clover, une entité à part. il fallait bien un berceau pour tous ces titres qui ne rentraient pas dans des séries populaires, qui ne rentraient pas dans le moule « Capcom ».

Est-ce frustrant parfois de produire des jeux de qualité, originaux, extrêmement bien reçus par la critique, mais qui, au final, ne se vendent pas à la hauteur de vos espérances et du travail accompli ? Je pense  à Okami, à God Hand…

Evidement, quand je créé un jeu, j’espère qu’il sera joué et apprécié par un maximum de personnes. Ca fait toujours plaisir de recevoir de bonnes critiques. Mais si les jeux ne se vendent pas, on se demande parfois pourquoi on travaille, pourquoi on a passé autant de temps dessus et dépensé autant d’argent et de créativité…

Pensez-vous que vos jeux sont trop complexes, trop difficiles d’accès pour un public en voie de casualisation ?

Entre développer un jeu qui, en tant que producteur, m’amuse, et un jeu qui se vendra mieux, mais me procurera moins de plaisir, je préfère choisir la première solution. Ca va à l’encontre du marché, oui, mais la fierté éprouvée à la sortie n’est aussi pas la même !

De nombreux acteurs du marché ont prétendu que le Japon est en retard sur la technologie occidentale, en terme de moteurs principalement. Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr que nous sommes en retard ! Ca se voit comme le nez au milieu de la figure ! Qu’on regarde les studios américains ou les studios européens, tous sont en avance sur nous. A croire que nous avons dormi pendant des années… Ce serait même idiot de le nier.

Avec Bayonetta en fer de lance, peut-on espérer un renouveau dans la qualité de la production japonaise ?

La priorité de PlatinumGames est évidemment de produire des jeux ludiques et amusants. Mais si on pouvait rentrer dans le top 5 des studios qui font les plus beaux jeux, ça m’arrangerait bien. (rires) Oui, nous avons des ambitions technologiques et j’espère bien que nous pourrons nous donner les moyens de réaliser ces ambitions !

Pensez-vous comme certains journalistes que Capcom est maintenant vidé de ses grands créateurs, après votre départ, celui de Mikami, de Kamiya ?

Avant que je parte, de nombreux créateurs emblématiques de Capcom avaient quitté l’entreprise. Alors, oui, on peut se dire que les grands designers sont partis… Mais, en même temps, Capcom est une société qui a toujours sur gérer ses marques et on leur a laissé de belles choses, comme les sagas Resident Evil, Devil May Cry ou Monster Hunter qu’ils peuvent continuer à exploiter d’une part. Et, d’autre part, je me dis qu’avec le départ des développeurs et producteurs expérimentés que vous avez cités, présents à Capcom pendant de nombreuses années, il y a maintenant de la place pour les nouveaux venus qui jusqu’ici étaient bloqués à l’entrée en raison du nombre de créateurs-stars chez Capcom. Je pense que le fait que nous soyons parti n’est pas nécessairement une mauvaise chose pour Capcom. En fait, je crois que c’est plutôt positif… Regardez Lost Planet, Mega Man 9 ou Dead Rising !

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Pourquoi ce nom de PlatinumGames ?

Avec notre PDG, Minami-san, on se posait de nombreuses questions sur le nom que pourrait porter notre nouvelle entité de développement. On voulait quelque chose qui sonne classe et adulte. On était dans un taxi à Tokyo, et pour une raison que j’ai oubliée, on en est venu à parler de pierres précieuses. Pourquoi pas une pierre précieuse ? On se demandait si c’était vraiment pertinent. Pourquoi pas l’or alors ? L’or, c’est pas mal ! On a jeté un œil sur les métaux précieux et on est tombé sur le platine. Vous savez, le prix du platine est invariable. Ca voudrait dire que tous les jeux Plantinum ont la même valeur, une qualité constante… Et voilà !

Peut-on dire que Platinum est le nouveau Clover ? Ou votre philosophie a-t-elle changé ?

Nous faisons tout pour que Platinum soit digne de Clover. Et, en même temps, c’est une occasion pour nous de montrer tout ce que nous n’avons pas pu faire en tant que Clover, parce que, quoi qu’on dise, nous avions toujours des comptes, notamment financiers, à rendre à Capcom !

J’ai lu que MadWorld était influencé par Frank Miller… En même temps, le noir & blanc, moins contrasté il est vrai, est quelque chose d’usuel au japon avec les mangas ? Pourquoi avoir choisi cette esthétique plutôt qu’une plus japonaise ?

On me pose souvent cette question. Je vais me permettre de rétablir une vérité, MadWorld n’a pas du tout était influencé par Frank Miller. En fait, lorsque nous avons commencé à travailler sur le jeu, nous avons cherché un moyen de rendre la violence choquante, sans être réaliste. Entre toutes les options possibles, le noir et blanc avec du sang rouge s’est rapidement imposé… J’aime beaucoup Frank Miller et les comics en général, mais Miller n’est pas du une de nos inspirations pour MadWorld.

Avec MadWorld, vous poussez très loin la violence graphique tout en gardant cet aspect cartoon… Evidemment, le jeu est déjà interdit dans de nombreux pays. N’êtes vous pas déçu que les censeurs ne voient la violence qu’au premier degré ?

Je suis plutôt résigné sur le sujet. Je n’ai pas grand-chose à dire dessus en fait. Je trouve juste dommage que les gens ne perçoivent pas le côté humoristique, très second degré du titre. Mais je peux difficilement aller à l’encontre de choix culturels… Mais on pouvait, je pense, s’y attendre.

Si vous deviez choisir un seul moment, un seul instant, de votre carrière ?

(longue réflexion) Ce n’est pas un souvenir unique, plutôt un ensemble, quelque chose qui se répète… Quand vous développez un jeu, que vous travaillez dur dessus, pendant des mois, le voir en rayon le jour de sa sortie, lire les critiques et les réactions positives des joueurs, lorsqu’on sent que l’on n’a pas sué sang et eau pour rien… Ca, c’est le meilleur souvenir ! Et, de ce côté, malgré des ventes parfois décevantes, je n’ai pas été déçu, nos jeux ont toujours été appréciés pour leur qualité, reçu et attendu positivement par les joueurs. Pour un créateur, c’est vraiment ce qu’il y a de plus agréable, de plus motivant aussi.

2 réflexions sur “Une heure avec Atsushi Inaba

    1. Hum, là, oui, il était très relax, et le côté un peu « détaché de l’actualité » de l’interview a dû l’aider. Mais je l’ai déjà vu beaucoup moins loquace (j’ai dû l’interviewer quatre fois en tout, pour Joypad ou l’Officiel PlayStation) 😉

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