Sid, le Pirate!

sid_01Génial créateur de Pirates!, de Civilization et d’une multitude de simulations, Sid Meier revient sur son passé et sa philosophie de design. Et quand le maître parle, on l’écoute!

Quel a été votre tout premier contact avec le jeu vidéo ?

Quand j’étais étudiant à l’université, au début des années 70, alors que les ordinateurs commençaient à émerger, j’ai eu accès l’un des IBM Mainframe de mon professeur. Il me permettait de l’utiliser pour les devoirs, mais j’ai rapidement réalisé que ce serait une bonne plateforme pour créer des jeux. Aussi j’ai codé une version digitale de tic-tac-toe (NDLR : plus connu sous le nom de morpion chez nous), ce qui s’est avérée plutôt amusante. Au début, mon professeur n’était pas vraiment content que je m’amuse avec ses machines. A l’époque, les ordinateurs étaient supposés n’être utilisés que pour des applications très sérieuses. Mais dès qu’il a commencé à jouer avec mon morpion, il a été accroché.

Ca a été le déclencheur de votre carrière ?

Oui. C’est à cet instant que j’ai réalisé que je pouvais combiner mon amour des jeux – jeux de cartes ou jeux de plateaux auxquels je jouais lorsque j’étais enfant- avec ma fascination pour ces ordinateurs. J’ai toujours été un véritable fan des jeux de plateaux, mais leur mise en place – pions, marqueurs, apprentissage des règles- prend beaucoup de temps… J’étudiais déjà les sciences informatiques à l’université, mais cette expérience m’a démontré qu’il était non seulement possible de créer des œuvres ludiques sur ces machines à calcul, mais aussi de rendre plus abordables les jeux de plateau que j’adorais sans en simplifier les règles, en laissant la machine gérer tous les calculs, toutes les règles. Et puis, je me suis dit qu’il serait peut-être possible, dans le futur, de gagner ma vie en programmant ce type de jeu, mais que la route serait longue : la technologie devait beaucoup évoluer avant que je pense sérieusement à cette possibilité.

Pouvez-vous nous parler de Bill Stealey qui était co-fondateur de MicroProse, votre tout premier studio ?

Bill et moi nous nous sommes rencontrés au début des années 80 alors que nous travaillions tous deux à General Instrument (NDLR : entreprise américaine spécialisée dans les semi-conducteurs). A un moment, nous nous sommes rendus à une convention ensemble et, là, nous avons passé toute une après-midi à jouer à un jeu d’arcade, une simulation d’avion très simple(NDLR : Red Baron). Ancien pilote de l’Air Force, Bill a très mal pris que je n’arrête pas de le battre à ce jeu. Il m’a alors demandé comment il était possible que je sois si bon, et lui si mauvais alors qu’il avait, lui, piloté de véritables avions sur de vrais champs de batailles. Je lui ai alors montré qu’il était facile de prévoir les déplacements des avions, que l’intelligence artificielle utilisait toujours les mêmes routines. Gagner était donc aisé. Là, je me suis vanté de pouvoir développer un meilleur jeu, en deux semaines. Bill m’a alors pris aux mots. J’ai gagné mon pari et ensemble nous avons fondé MicroProse. Notre partenariat marchait bien parce que nous nous répartissions le travail : je créais les jeux, et lui les vendait. Durant nos premiers mois d’existence, je copiais aussi les jeux sur disquettes, les mettait en boite. De son côté, Bill arpentait la côte est des Etats-Unis, s’arrêtant à chaque magasin d’informatique pour vendre les jeux qu’il stockait dans le coffre de son automobile. Après un voyage où il avait réussi à vendre près de vingt-cinq copies d’un seul jeu, Bill m’a appelé d’une cabine téléphonique et m’a dit : « Je crois qu’on a eu le nez creux ! » Pour l’anecdote, c’est aussi lui qui a eu l’idée de mettre mon nom sur la couverture de Pirates ! pour le vendre plus facilement. En raison de ses nombreux gameplay, Pirates ! était un cauchemar à marketer, mon nom devait aider les joueurs qui avaient apprécié nos précédents jeux à franchir le pas, et à sortir quelques dollars de leurs poches.

Pendant les dix premières années de MicroProse, vous êtes passés d’un genre à l’autre, sautant d’une simulation de pilotage à un wargame, et inversement. Pourquoi?

J’ai toujours designé des jeux uniquement basés sur des sujets qui m’intéressent. Durant les premières années de MicroProse, j’étais capable de créer des simulateurs de vol, puis de passer à d’autres thèmes intéressants, comme l’histoire, la guerre, les pirates ou les chemins de fer. L’époque était différente, il n’était alors pas si difficile de sauter d’un genre à l’autre. Même si je me rends compte que j’ai été particulièrement chanceux d’avoir cette flexibilité créative.

Pourriez-vous définir quels sont les piliers de votre philosophie de design ?

Comme je l’ai dit, j’imagine des jeux basés sur des sujets que je trouve fascinants, en espérant que ces sujets intéresseront d’autres gens. Mon approche est de faire du joueur la figure centrale du jeu et de lui proposer des choix et des décisions importantes pendant qu’il joue. Quand vous offrez aux gens la chance de faire quelque chose de grand via une interface et un décor impliquant et engageant, ils finissent le jeu en se sentant gratifié parce qu’ils ont accompli. Et veulent évidemment rejouer… La gratification constante est au centre de mon approche.

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Vous n’avez pas développé que des jeux de simulation d’avion. D’où est venue l’idée de Silent Service ?

Enfant, j’étais très intrigué par les sous-marins, par tout ce monde sous-marin mystérieux qu’ils traversent, et je pensais que cela ferait un bon jeu. Je sais que certains joueurs trouvent cette série plutôt claustrophobe, avec ces bips, les couloirs ou lieux étriqués, mais je ne l’ai jamais pensé comme un jeu d’horreur. Plutôt comme une simulation froide, clinique. Peut-être trop ?

Pirates ! est une de vos pièces maitresse. Comment et pourquoi avoir intégré une chronologie fixe, avec laquelle le joueur peut s’amuser ?

Ma fascination pour les pirates a commencé lorsque j’étais enfant, comme beaucoup de sujets qui me tiennent à cœur. Mais, au contraire de mes précédents jeux de l’époque, plus réalistes, je voulais surtout me concentrer sur le côté aventureux, presque cinématographique, de la vie de pirates. Simuler leur vraie vie, avec tous ses côtés douteux, ne m’intéressait pas. En fait, je voulais recréer, pour les ordinateurs, les sensations que j’avais ressenties avec les vieux films de pirates avec Errol Flynn, et avec des jeux comme Seven Cities of Gold sur C64. C’est d’ailleurs ce jeu qui m’a ouvert les yeux sur les possibilités qu’offrait cette thématique… Créer Pirates ! était vraiment amusant parce que nous avons réussi à mélanger un paquet de genres très différents (aventure, stratégie, action et RPG) dans un jeu à la fin ouverte où le joueur pouvait déterminer la direction de chaque partie en opérant à certains choix. Connaître la chronologie historique, linéaire, permettait d’en jouer à volonté.

Comme Civilization, et une grande partie de vos jeux, Pirates ! peut être rejoué un nombre conséquent de fois. Préférez-vous les mécanismes à la narration ? Est-ce une des clefs du succès de chacun de vos jeux ?

Oui, clairement. Mettre le jeu dans les mains des joueurs, et les laisser orienter leur partie grâce à leurs propres décisions fait, à mon sens, partie des raisons du succès de nos titres. Ca signifie qu’à chaque fois que quelqu’un lance une partie, il y a une chance qu’ils expérimentent quelque chose de nouveau en modifiant leur approche ou en dérivant des choix qu’ils ont fait dans la partie précédente. Et ça, pour un joueur c’est très excitant.

De tous vos jeux, Covert Action, un titre d’espionnage, est un peu à part. D’ailleurs, on dit que vous n’en n’êtes pas vraiment fier ?

Tous les jeux que j’ai créés sont comme des enfants pour moi, je suis fier de chacun d’entre eux pour différentes raisons ! Mais, vous avez raison, Covert Action était un titre unique à son époque, c’était comme deux jeux assemblés en un (NDLR : Covert Action proposait des séquences d’espionnage, de piratage et de gestion via nombreux écrans fixes et dossiers, puis d’action/infiltration en temps réel vue du dessus). En termes de développement et de design, c’était très intéressant. Aujourd’hui, il y a toujours une chance que nous refaisions un titre dans le même genre, voire un remake, mais ce n’est pas dans nos plans immédiats. Si nous le faisions, nous irions sans doute dans le même sens que pour Pirates ! (NDLR : ressorti sur PC, Xbox et PSP à partir de 2004), à savoir, garder le gameplay de base, mais le rendre plus attractif, plus facile à prendre en main. On s’est rendu compte que ça marchait parfaitement pour Pirates ! La seule différence entre hier et aujourd’hui, à mes yeux, c’est qu’un développement nécessite plus de monde, plus de graphistes, plus de moyens, pour atteindre les exigences visuelles minimum. Pour le reste, les mécaniques et l’amusement restent les mêmes.

Quelle est votre méthode de développement d’ailleurs?

Toute mon approche dérive de prototypes. J’en créé un, solide, que je fais tourner durant tout le développement, soit deux à trois ans, l’améliorant au besoin, jusqu’à ce qu’il soit prêt à être montré. Je passe beaucoup de temps à le tester moi-même avant de le présenter. Le challenge, surtout pour les jeux que nous sortons aujourd’hui, c’est d’équilibrer la difficulté avec justesse pour que les nouveaux venus puissent s’y mettre et que les joueurs les plus hardcore trouvent un challenge à leur taille. Une fois passé entre les mains de ces nouveaux joueurs, on sait quoi retirer, équilibrer ou redesigner. Quand tout cela est réglé, j’augmente la difficulté par deux, et je regarde ce qu’en font les gamer… (rires) Là, ça devient vraiment intéressant, comme ils vont au fond des choses…

Enfin, parmi vos jeux, peut-être un peu oublié, il y a CPU Bach

Oui, pour CPU Bach, l’inspiration est venue de mon amour de la musique. Je joue de quelques instruments et j’aime composer ou arranger des morceaux. CPU Bach offrait la possibilité au joueur de créer sa propre musique sur l’ordinateur et de la rejouer. L’interface et la maniabilité étaient un peu compliquées, sans doute parce que CPU Bach était un peu en avance sur son temps, sur la technologie de l’époque. Je tâtonnais un peu sur ce genre… Tout comme Covert Action, parfois je me dis qu’il serait peut-être temps de revenir à ce type de jeu musical, de tirer parti des plateformes actuelles. Je m’amuse parfois avec cette idée, à imaginer ce que deviendrait alors CPU Bach…

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Diriez-vous, aujourd’hui, que Civilization a cristallisé une grande partie de vos idées de gameplay, a marqué une date dans votre carrière, comme Sim City pour Will Wright ?

Je ne sais pas. Nous n’imaginions pas, durant la production du premier Civilization, que ce serait un tel hit. Aujourd’hui, près de vingt ans après, je peux dire qu’il s’agit du jeu dont je suis le plus fier, en termes d’expérience de gameplay persistant prodiguée au joueur. Le plus incroyable, à mes yeux, c’est l’adaptabilité de ce gameplay qui se fond, sans trop de difficultés, sur n’importe quelle plateforme.

L’histoire du titre de Civilization est plutôt complexe. Vous avez créé ce jeu, sans vous inspirer du jeu de plateau pré-existant, avant que MicroProse en acquiert les droits. 

Franchement, je ne sais pas vraiment comment MicroProse a acquis le nom Civilization. (NDLR : le jeu de plateau a été créé en 1982 par Avalon Hill) Ce sont les gens du business qui s’en sont entièrement occupés. Je n’ai jamais aimé être trop impliqué dans le business, ce qui me permet, la plupart du temps, de me concentrer sur le design et sur la programmation. Concernant Civilization, en jeu de plateau, la dernière version, très inspirée par notre franchise, est vraiment géniale, et est due aux gens de Fantasy Flight Games (NDLR : qui a aussi sorti StarCraft ou WarCraft).

Durant la seconde partie de votre carrière, après 1990, vous semblez plus vous consacrer aux jeux de stratégie. Etait-ce un choix délibéré, conscient ? En aviez-vous assez des simulations d’avions ?

Non, à aucun moment il n’y a eu de décision consciente d’aller vers la stratégie plus que vers un autre genre. En fait, il me semble plutôt que la plupart de nos idées de jeu  étaient plus naturellement exploitables dans la stratégie. Depuis les années 90, j’ai aussi travaillé sur d’autres genres de jeu. C’est d’ailleurs un excellent moyen pour dénicher de nouvelles idées, pour enrichir l’expérience des jeux de stratégie, la garder aussi fraîche et intéressante que possible. Et, non, je ne me suis pas lassé des simulateurs de vols, j’avais juste d’autres idées auxquelles je désirais donner vie.

Durant la dernière GDC, vous avez parlé de la psychologie du joueur. Pourriez-vous résumer vos idées sur ce que vous nommez la guerre froide entre les joueurs et les designers. Comment ces idées s’intègrent-elles dans Civilization ?

En fait, il y a deux fronts : l’Accord (Agreement en anglais) et la Guerre froide. L’accord, c’est quand le joueur accepte de suspendre sa crédibilité (NDLR : le fameux suspension of disbelief nécessaire à l’acceptation de toute œuvre narrative) pour un moment et que le designer accepte de donner au joueur une expérience amusante. La Guerre froide, c’est quand l’une ou l’autre partie casse cet accord. Là, l’expérience explose pour tout le monde. Les designers doivent traiter les joueurs comme les stars du jeu, et mettre en place de bonnes mécaniques, faire des choix de design solides et proposer une atmosphère solide pour que le joueur reste engagé, impliqué tout du long de sa partie. Il y a beaucoup de choses qui marchent bien dans Civilization car c’est un jeu qui met en avant les progrès constants du joueur. Tout ce que fait le joueur a un impact, immédiat ou sur le long terme, sur la course de la partie.

Civlization a été porté sur console, et le sera bientôt sur facebook. En quoi cela change-t-il le design du jeu?

Nous pensons que Civilization est une expérience amusante qui peut être proposée sur différentes plateformes. Nous avons designé chaque version de Civ de façon à respecter les spécificités, et mécaniques de chaque plateforme, tout en délivrant une expérience enrichissante au joueur. Les fondements de jouabilité restent les même, mais ils sont empaquetés dans une présentation qui correspond bien à chaque plateforme en particulier. Pour Civilization sur Facebook, nous créons un jeu qui semblera familier aux fans de Civ (la même expérience stratégique addictive, mais jouée en collaboration avec leurs amis) et devrait, nous l’espérons, attirer de nouveaux joueurs qui aiment s’amuser sur cette plateforme. Nous pensons que cela permettra de relever le niveau de la prochaine génération de jeux sur facebook. En fait, facebook est ni plus ni moins qu’une nouvelle technologie, qu’une nouvelle plateforme. Nous pensons le design de ce Civ-là en fonction des attentes des joueurs. Ici, il ne s’agit pas de refaire Civ sur PC dans une version amoindrie, mais de tenir compte des limites et potentialités de cette plateforme, comme les listes d’amis, etc.

Peux-on imaginer que d’ici quelques années vous reveniez au genre simulation de vol ? Ou pensez-vous que le genre est mort ?

(rires) J’imagine que vous êtes un fan de simulation de vol ! On ne sait jamais ce que le futur peut amener. Je suis un grand amateur de simulation de vol aussi, et je ne pense pas que le genre soit mort. Au contraire… J’ai un paquet d’idées à l’esprit pour différents types de jeux que j’espère avoir le temps de créer un jour. Peut-être une simulation… Un jour.

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