Outsourcing, externalisation ou sous-traitance, l’industrie du jeu vidéo se met au diapason de celle, plus large, du divertissement grand public. Comment ? Pourquoi ? Réponse des intéressés.
(Paru dans Joypad 193)
Difficile, encore aujourd’hui, de faire parler d’externalisation ou d’outsourcing aux entreprises françaises du jeu vidéo. Et pourtant avec la professionnalisation du marché dans les années 90, l’industrialisation de ses méthodes de production, impossible de croire encore au mythe du studio-roi, responsable du développement d’un jeu vidéo à cent pour cent. Bien avant l’émergence de la 3D, certains avaient d’ailleurs déjà recours à des aides extérieures : designer ou compositeurs indépendants, artistes… Quant à définir l’outsourcing, à la différencier de la sous-traitance industrielle, Guillaume de Fondaumière, co-PDG de Quantic Dreams et Président de l’APOM, s’exécute : « L’externalisation, aussi appelée outsourcing, désigne le transfert de tout ou partie d’une fonction d’une entreprise vers un partenaire externe. C’est une forme de sous-traitance, mais elle induit un pilotage plus étroit par l’entreprise donneuse d’ordre, et un engagement particulier du prestataire externe. » Mais dans quel but ?
Si, pour certaines entreprises, l’externalisation n’a que peu de sens, en raison d’un système interne basé sur une technologie unique et quasi-propriétaire (Midway, son moteur-maison basé sur l’Unreal Engine 3 et son échange vertical de données), pour d’autres, la plupart en fait, externaliser une partie de la production est devenue une véritable nécessité financière depuis l’arrivée des dernières générations de consoles, plus gourmandes. Et c’est sans compter sur les exigences toujours croissantes des consommateurs ! Une situation que de Fondaumière connaît bien : « Avec les consoles de dernière génération, PS3 et 360 en tête, les besoins de production de ressources graphiques ont fortement augmenté et de plus en plus de studios font maintenant appel à des partenaires extérieurs à qui ils confient des pans entiers de la réalisation d’un jeu. Cela permet de facto de limiter les coûts de production, de produire plus rapidement et de ne pas prendre des risques à moyen et long terme sur l’effectif de l’entreprise, en particulier dans un pays comme la France où il est difficile d’accroître ses effectifs sur de moyennes durées. » Développer à moindre coût, oui, mais sans pour autant sacrifier à la qualité, studio de développement et éditeur étant responsables, aux yeux des consommateurs, du produit final. Inutile de dire que, par le passé et même récemment, la balance entre qualité et coût penchait en faveur du second. Ce n’est pas pour rien si, après que le portage PS3 de Overlord a été confié à un studio externe, Triumph, le créateur de la licence, a préféré développer sa suite en interne… Parce qu’un mauvais produit, développé à la va-vite, et surtout pour une cible de niche, finit inévitablement par ternir l’image d’un studio. Alors comment choisir le partenaire, le prestataire qui répondra aux attentes ?
Pour Bo Andersson, PDG de GRIN, studio d’externalisation en son temps (Ghost Recon Advanced Warfighter 1 & 2 sur PC pour le compte d’Ubisoft, Bionic Commando et Bionic Commando Rearmed pour Capcom), dénicher le parfait prestataire est un véritable parcours du combattant avec, pour objectif principal, la qualité « Nous avons essayé de nombreux partenaires, mais un seul satisfaisait à nos exigences de qualité. Pour Terminator Salvation, nous travaillons avec les gens de Streamline Studio pour co-développer toute la partie artistique. » Une constante que Guillaume de la Fondaumière souligne : « L’externalisation n’est pas quelque chose qui s’improvise. Travailler avec des partenaires extérieurs comporte des risques, en particulier lorsque ceux-ci se trouvent à des milliers de kilomètres. La chose la plus importante pour nous reste la qualité. Aussi, quelque soit la localisation géographique du partenaire, nous nous investissons beaucoup dans notre relation. Nous formons en particulier leurs équipes à nos outils et nos méthodes pendant de longs mois avant le début de toute collaboration. Ceci a un coût qui induit une collaboration sur de gros volumes par la suite. » Une question de confiance donc, mais une confiance contrôlé ! Ainsi, chez Ubisoft, il n’est pas rare de déléguer des producteurs aux studios extérieurs pour vérifier la qualité du rendu, tout en laissant aux équipes une grande liberté d’action. Geoffroy Sardin, Directeur général Ubisoft France, explique cette conception de l’outsourcing: « Chez Ubisoft, la relation que nous entretenons avec les développeurs tiers tient plus du partenariat que de la sous-traitance. Nous considérons que la production d’un jeu vidéo est un processus créatif, ce qui implique que nous n’imposons pas dès le départ une description précise et arrêtée du projet final aux développeurs. Au contraire, nous visons à créer une relation de symbiose durable avec eux, les projets exigeant un véritable échange et une franche collaboration. » D’où, par exemple, le changement de perspective et de vue (de la 3ème personne caméra à l’épaule sur Xbox 360 à la première personne) de Ghost Recon Advanced Warfighter, lors de son portage sur PC par GRIN.
Difficile donc de trouver le prestataire idéal. D’autant qu’il faut bien souvent prospecter dans des pays étrangers, connus pour leur main d’œuvre rapide et leurs coûts moins élevés : Chine, Corée, Inde… Presque un cliché du capitalisme ! « Le cliché dont vous parlez porte à mon sens surtout sur le prix et la qualité. » répond de Fondaumière. « On pense souvent que les coûts des prestataires asiatiques sont ridiculement faibles, et que la qualité est médiocre. Notre expérience est différente : on trouve maintenant des prestataires offrant une grande qualité dans des pays comme la Chine ou l’Inde ; par contre le différentiel de prix est nettement moins avantageux qu’on pourrait le penser, si l’on compare « à qualité égale ». » Pour autant, il n’est pas rare qu’aujourd’hui encore, la plupart des entreprises se tournent vers cette main d’œuvre pour tout ce qui est travail préliminaire, du dégrossissement des tâches les moins spécialisées, bref tout ce qui ne touche pas à l’intégrité « artistique » du jeu. Pour cette touche, les studios français, graphiques principalement, sont sollicités. « Nos partenaires français collaborent principalement à la conception initiale de décors ou la production de personnages 3D de très haute qualité. » rappelle de Fondaumière. « Nous aurions d’ailleurs beaucoup plus travaillé en France si nous avions pu, en particulier dans le domaine de la production de décors 3D. La France est peut être plus compétitive qu’on ne le dit souvent, car nous sommes capables du meilleur avec une très grande rapidité d’exécution. » Qu’en est-il alors de la situation des français sur l’échiquier de l’externalisation ?
Sous-traiter pour une entreprise plus importante n’a plus rien de honteux aujourd’hui. En fait, nombre de studios indépendants français travaillent pour de gros éditeurs, souvent pour, en parallèle, développer des titres originaux. Et la plupart se portent bien, comme l’explique de Fondaumière « Je pense notamment à Asobo Studio (Wall E, Ratatouille, The Mummy Animated…) ou Etranges Libellules (Spyro Dawn of the Dragon, Arthur et les Minimoys…) et dans une certaine mesure à Lexis Numérique qui crée à la fois des jeux originaux (Expérience 112, In Memoriam…) et des jeux pour compte d’éditeurs tiers (Alexandra Ledermann, PC et DS par exemple). On ne sait d’ailleurs souvent pas que ce sont des studios français qui sont derrière certains de ces grands « hits » mondiaux. » D’ailleurs pour certains studios, passer de la création originale à la commande pure, plus facile et plus intéressante financièrement, est parfois nécessaire pour rétablir une situation financière autrement plus délicate, voire prévoir des financements futurs massifs. A l’étranger, on trouve les mêmes comportements, le japonais Grasshopper Manufacture (Killer 7) n’hésitant pas, par exemple, à faire travailler ses compositeurs et ingénieurs son pour des jeux de commande. Enfin, pour les studios français moins connus, la situation se dégrade actuellement avec une concurrence sauvage de la Chine notamment, capable désormais de proposer des services identiques à moindre coût. Pour ces indépendants-là, la situation est évidemment plus préoccupante…
Part intégrante de la production d’un jeu vidéo, l’externalisation n’a aujourd’hui, aucune raison d’effrayer le consommateur puisqu’elle est, généralement, plus contrôlée qualitativement que dans d’autres secteurs industriels. Et puis, avec les récentes fermetures de Factor 5, voire les licenciements massifs chez EA, la question de son recours va sans doute se poser de plus en plus souvent aux éditeurs, histoire d’amoindrir des coûts de développements désormais exorbitants, devenus encore plus pesants maintenant que la crise économique s’est installée.