Fin des années 80, début des années 90, le jeu vidéo, et le jeu d’aventure plus spécifiquement, cherchent de nouvelles façons de conter. L’image fixe a fait son temps, mais les FMV (Full Motion Video) ou la 3D modélisée sont encore loin. Où piocher alors ? Bon sang, mais c’est bien sûr ! Dans la BD, dans son art séquentiel, dans ses règles narratives éprouvées, dans ses ouvrages théoriques déjà nombreux ! A une époque où l’influence du cinéma est à peine esquissée, à peine pressentie par un Chahi, où les jeux d’aventure textuelle ne font plus recette, où le jeu vidéo est encore un bouillon de culture d’où formes et concepts jaillissent avant de s’éteindre, recourir aux cases, aux phylactères, leur imprimer mouvements et dynamique, pousse le média vers de nouvelles frontières, celles des cases qui dinguent à l’écran, s’affichent en surimpression, racontent et rythment la narration… Si l’on excepte un Vagrant Story, usant à escient des bulles pour les dialogues, ou un Valkyria Chronicles 2 et ses cases mouvantes, ce vocabulaire, pourtant riche, n’est désormais plus monopolisé par notre loisir. Dommage.
(Paru dans Joypad 218/ sous forme de Rubrique Rétro)
La quête de l’oiseau du temps
Développeur : Infogrames
Sortie: 1989
Véritable phénomène de la B.D. franco-belge, La quête de l’oiseau du temps est, immédiatement après sa fin (1ère quadrilogie, achevée en 1987), adaptée par une équipe d’Infogrames. Un choix d’une logique implacable, l’œuvre de Loisel et Le Tendre s’appropriant les clichés de l’heroic-fantasy pour mieux les détourner. Sous forme d’un voyage entre différentes marches, la quête, dans sa version numérique, invite à une véritable visite interactive de la création de papier : même lieux, retravaillés, mêmes personnages, mêmes objectifs… Mais loin d’un Passagers du vent, peu interactif, La quête mélange de jeu d’aventure et de rôle, multiplie les possibles. Ainsi, certains personnages peuvent ne pas se joindre à l’équipe, ou dans une configuration différente, et les marches peuvent être visités dans différents ordres. Mais, le plus intéressant, c’est que les développeurs d’Infogrames ont su éviter le piège de l’adaptation sans réflexion. Ici, on joue réellement les combats, en temps réel, vue de côté avec scrolling, et si phylactères et cases s’invitent durant l’exploration, c’est pour dynamiser encore plus la narration. Alors, oui, La quête de l’oiseau du temps n’est pas un grand jeu, trop Die & Retry aujourd’hui, mais ceux qui y ont joué en garde un souvenir tenace.
Comix Zone
Développeur : SEGA
Sortie : 1995
Comix Zone, c’est un peu ce qui se fait de mieux dans le genre intégration du vocabulaire de la B.D., du comics, dans le jeu vidéo. Un grand, grand classique. Et pourtant, obligé de respecter le cahier des charges du Beat Them All- montrer le héros en pied pour faciliter la lisibilité de l’action-, Comix Zone ne peut expérimenter autant qu’il le veut avec le cadrage (pas de gros plan, pas de plongée ou de contre-plongée), s’amusant uniquement avec les cases, les transitions entre deux lieux, un concept repris dernièrement par Unbound Saga. Le jaillissement de la main du dessinateur, esquissant un nouveau monstre, le passage d’une bordure de case à l’autre, les onomatopées, la présence de bulles de dialogues ou le crayonné de la dernière aire de jeu démontrent néanmoins une véritable passion pour le média « comics », ainsi qu’une volonté d’en dépasser, par l’interactivité, ses limites. On n’est finalement pas très loin des réflexions du scénariste Grant Morrison (dans The Filth ou Animal Man) sur le rapport réalité/comics.
Crash Garrett
Développeur : Ere Informatique
Sortie : 1987
Inspiré par le pulps (récits d’aventure des années 20), le titre fait apparaître les cases, les superpose, les déplace au besoin de l’action. D’autant plus dynamique et immersif que le héros, taxi-pilote pour les stars de Hollywood, revient sans cesse vers le joueur, sa conscience, pour lui demander « Je fais quoi, là ? », transgression totale des règles narratives, explosion du quatrième mur, mais d’une efficacité étonnante, rappelant, avec plus de vingt ans d’avance, et moins de jugeote peut-être, les questionnements internes, sorte de stream of consciousness, des héros de Heavy Rain, ou de ceux de Dragon Age ou Mass Effect (roue de dialogue qui affiche toutes les possibilités de comportement, comme autant de facettes des personnages/joueurs). Héros à la Indiana Jones, Crash s’embarrasse sans doute peu de raisonnements, mais les bases étaient déjà-là, livrées sous couverts de phylactères.
[[ENCART THEMATIQUE]]
Des adaptations qui oublient leur origine.
Quand la technique est absente, recourir à des méthodes de narration préexistantes devient une nécessité. Aussi, il ne faut pas s’étonner que cases et bulles aient été une solution largement recourue pour pallier au manque d’espace sur les disquettes. Du moins, en France. Des exemples ? Kult de Ere Informatique, avec ses gros plans, ses animations, B.A.T. et ses décors coupés en cases… Mais une fois passées les années 80, et leurs adaptations traits pour traits, peu interactives, des Passagers du Vent, de Blueberry, de Asterix Chez Rahazade ou de La marque jaune, la plupart des acteurs du marché ont logiquement préféré éviter ce genre d’interface et de produits à la plus value très limitée. Quel intérêt de jouer (un peu) avec un personnage connu, si c’est pour refaire une aventure déjà lue, à peine remaniée, ou aux séquences d’action très limitée ? Et, si l’on regarde du côté des Marvel, 2000 A.D. ou de DC, on s’aperçoit qu’à l’exception, de The Amazing Spider-Man and Captain America in Dr. Doom’s Revenge, Batman : The Caped Crusader ou Slaine, les éditeurs de comics anglophones ont rapidement abandonné cette mode passagère pour mieux inscrire leurs héros dans des gameplay plus classiques, à l’héritage B.D. totalement effacé. Sans cela, qui sait, à la place de John Marston, on aurait joué Blueberry dans Red Dead Redemption ?