On pleure toujours les transitions ratées, passages brusqués, mal négociés, par des idoles du passé. Pensez à Sonic et ses courses aujourd’hui erratiques, son gameplay 3D toujours à retravailler… Et puis, il y a Duke, Monsieur Duke, musculeux, macho, mais toujours en retard d’un train, d’une génération, d’un moteur ou d’une époque. Aussi Duke Nukem 3D a beau avoir fait rêver des wagons de joueurs des 90’s, transgressant sans ciller, multipliant les bons mots et les fusillades, sa suite directe, officielle, aurait peut-être mieux fait de ne jamais sortir.
(paru dans Joypad 8H)
Dans l’exercice d’un test, on ne devrait pas avoir à revenir sur l’histoire du développement d’un jeu, mais simplement juger le « produit final », sa capacité à atteindre des objectifs et ambitions visées, à répondre à des exigences actuelles d’ergonomie, de gameplay et de mise en scène. Ca, c’est valable pour une production normale, pas pour un titre qui traîne près de quatorze années de revirements, changements et transformations pour s’adapter au marché du moment de ses potentielles sorties. En soit, Duke Nukem Forever doit se percevoir comme un musée, sorte de machine à remonter le temps des évolutions de gameplay et de level design du FPS. Là, un niveau extrait de Prey (La ruche), juste après, une séquence qui renvoie immédiatement à DK 3D, plus loin des scripts presque actuels, puis des effets physiques ringards, juste créés pour quelques minutes de jeu ou une énigme. En fait, chaque concept, chaque idée et son implémentation pourrait presque être daté, et la structure du jeu, déconstruite à l’aune de cette datation. Pour comprendre cette disparité, cet étrange manque de continuité ou de consistance, il faut considérer le travail de Gearbox comme une simple tentative de recoller ensemble des morceaux épars de jeu, comme une sorte de bricolage/puzzle à partir des esquisses et brouillons laissés par 3D Realms et Triptych Games. Si l’ensemble fait donc sens- oui, il y a un scénario, une ligne directrice-, on repère néanmoins facilement les failles, les éléments de niveaux manquants (les égouts qu’on nous promet immondes alors qu’ils se révèlent vides, et bouclés en deux minutes !), ou les idées à peine (ou trop, c’est selon) exploitées. Bref, une joyeuse pagaille – presque logique dans l’esprit bordélique du Duke- qui n’arrive jamais à décider vers quels buts elle tend.
Alors, oui, on aurait pu jouir de ce patchwork mal achalandé, s’amuser à dézinguer du porco-flic dans une folle ambiance de strip club, passes payantes et blagues grasses en primes. Sauf que DKF oublie trop souvent qu’il est un FPS, s’essaie à des gameplay qu’il ne maîtrise absolument pas, comme ces courses à bord d’un buggy ou d’une voiture télécommandée, inutiles. Pire, alors qu’un Duke Nukem 3D alignait des level design complexes, des niveaux très ouverts, pleins de raccourcis, de caches, DKF met en avant une linéarité exaspérante, exaspérante car vide de scripts et de rythme, exaspérante car terriblement prévisible. D’ailleurs, il n’est pas rare de marcher parfois cinq minutes dans un décor immobile, loin d’être fini, sans narration environnementale. Le constat est clair, DKF n’a rien à dire, rien à montrer, rien à raconter. Comme si 3D Realms, le studio original, avait tourné en rond, sans but, incapable de sortir quelque chose de concluant de leur personnage, de l’univers qu’ils avaient créé. Et c’est bien le véritable problème de cet épisode. Même sorti en 1999, Duke Nukem Forever n’aurait pas fait long feu face à un Half-Life plus narratif, mieux exposé et mis en scène, mieux tenu dans tous ses compartiments. En fait, malgré ses tentatives pour s’accrocher à chaque époque, pour intégrer chaque nouveauté technologique, chaque mécanique (jauge d’Ego qui se remplit au fur et à mesure), DKF échoue. A la seule exception des boss. Old school, certes, mais franchement sympathiques et coriaces ce qu’il faut. D’autant plus costauds, que le joueur (console) n’est vraiment pas aidé par une visée moyennement précise.
Que reste-t-il alors à Duke ? Pas grand chose. Des vannes, parfois drôles, parfois à côté de la plaque, des « couine, couine, salope ! » bien misogynes, quelques rares géniales idées (le niveau du Duke Burger), des mini-jeux oscillant entre le rigolo et l’inutile, et un héros, trop eighties pour être vrai. C’est peu, très peu, et même la fibre nostalgique, même la satisfaction d’enfin jouer à un titre trop attendu, fantasmé pendant des années, ne suffit pas à transformer cette pièce de musée, poussiéreuse, rafistolée, en un jeu cohérent. Seul espoir alors : que Randy Pitchford et Gearbox, désormais propriétaires de la franchise, sortent un vrai Duke Nukem, optimisé, dingue à souhait. En attendant il faudra se satisfaire de la descendance illégitime du Duke: Bulletstorm, sorte de renouveau du FPS, audacieux dans ses mécaniques, ou Shadows of the DAMNED, TPS moyen, mais bien barré, cohérent dans sa démesure et sa progression, lui.
Bien écrit