Créer des royaumes comme ceux d’Amalur nécessite plus d’une tête bien faîte. C’est donc à trois héros de l’imaginaire, à trois personnalités reconnues que Big Huge Games a fait appel pour concevoir son univers et premier titre : Kingdoms of Amalur : Reckoning. Rencontre avec R.A. Salvatore (romancier, créateur de Drizzt Do’Urden), Ken Rolston (Game Designer) et Todd McFarlane (dessinateur et scénariste de Spawn), les trois visionnaires du projet.
(paru dans l’Officiel Xbox N°69)
Comment s’est déroulée la création de l’univers d’Amalur ?
R.A. Salvatore : Tout a commencé par l’appel de Curt Schilling, une star de base-ball maintenant à la retraite, qui a fondé Big Huge Games. C’est un véritable fan de RPG et de MMORPG. Là, il m’appelle et me demande si ça m’intéresserait… L’équipe est alors venue me voir. Ils savaient déjà quelle direction ils voulaient prendre. Ils m’ont présenté leurs concepts, et j’ai tout de suite eu un flash. A la fin de la présentation, je leur ai dit « J’ai une idée, mais je ne vais pas vous en parler tout de suite. » Rapidement, j’ai réuni The Seven Swords, mon groupe de jeu de rôle de Donjons & Dragons, qui est devenu mon équipe de recherche. Je leur proposais mes idées, et ils revenaient vers moi avec des conseils ou de trucs encore plus fous (rires) Et Amalur s’est construit comme ça, couche après couche. Ils m’appelaient au téléphone : « Faisons-ça ! », et je me disais « Oh, mon dieu, ça ne sera jamais cohérent ! » (rires) Ensuite il a fallu résumer et présenter ces 10.000 ans d’histoires sur powerpoint…
Ken Rolston : Pour beaucoup de membres de l’équipe, c’est à ce moment précis que sont nés Amalur et le studio !
R.A. Salvatore : Nous voulions que tous comprennent la raison de ce monde, comment il fonctionne, pourquoi ces races… Et tous les deux mois, pendant que le studio continuait de grossir et d’embaucher, je refaisais une présentation pour que tous soient à jour dans nos évolutions.
Mais cela suffit-il pour créer un monde cohérent ?
R.A. Salvatore : Non, il faut aller encore plus loin pour s’assurer que le joueur va accepter de s’immerger. Tous les éléments du monde créé, même ceux que l’on considère comme acquis, doivent avoir une raison d’exister, et cette raison doit, elle-même, être justifiée. Dans World of WarCraft, vous ressuscitez dans les cimetières. Pourquoi ? Parce que c’est code des MMORPG. Si nous faisons de même, les joueurs s’arrêteront au bout d’une heure. Nous avons donc été plus loin. Si vous ressuscitez grâce au puits d’âmes, c’est qu’il y a une raison, liée à l’histoire générale du monde. Imaginez alors qu’un personnage devienne immortel, quel est l’impact sur cet univers ? Imaginez qu’une femme qui a perdu son enfant pense le retrouver après la mort ? Et si elle ne peut pas mourir, l’acceptera-t-elle ? Comment ? Nous débattons sur ce genre de questions depuis près de cinq ans ! (rires) C’est nécessaire pour créer un monde crédible.
Todd, vous n’êtes pas du tout joueur. Comment vous êtes vous intégré dans l’équipe ?
Todd McFarlane : C’est vrai, je ne connais rien à jeu vidéo. Mais cette singularité fait de moi une sorte d’électron libre. Je pose les questions que personne ne poserait à ma place. Si Salvatore et Rolston s’occupent du fond du jeu, moi, je prends en charge tout ce qui est visuel. Je suis la partie vidéo de jeu vidéo ! Nous nous sommes dits, si on veut aller dans une direction action pour tout ce qui est empoignade, il faut que cette direction soit totalement assumée, qu’on puisse jouer à Amalur comme à un vrai jeu de combat. Pour moi, il était hors de question de faire un RPG passif. Par ce terme, j’entends des titres où gagner des points d’expérience suffit pour avancer, où le joueur n’a pas grand chose à faire. On veut laisser la possibilité au joueur de choisir sa façon de jouer. Mon but, c’est que cela reste toujours visuellement intéressant.
Il y a des tensions entre les visionnaires ?
Todd McFarlane : Non. Au début peut-être. Nos égos respectifs… Aujourd’hui, et je vais reprendre la métaphore d’une équipe de base-ball, nous sommes comme une équipe, avec chacun notre poste à gérer. Gérer le monde, son histoire, ce n’est pas mon truc.
Ken Rolston : En fait, il s’agit surtout d’une parfaite application de nos égos respectifs (rires) Entre Salvatore et moi, c’est un peu comme l’huile et l’eau. Lui croit aux personnages, moi aux lieux et thèmes. De plus, Salvatore étant quelqu’un de logique, il ne nous a laissé aucune porte d’entrée pour amener mon histoire d’immortel dans le monde d’Amalur. (NDLR : Le monde a été créé pour plusieurs jeux, dont Reckoning et un MMORPG)
R.A. Salvatore : Oui, j’ai dû réécrire une partie de l’Histoire d’Amalur pour que Reckoning s’y inscrive logiquement… J’ai un autre exemple concernant notre travail en commun. Il y avait ce dessin de Todd où l’on voit des arbres minéraux qui flottent dans les airs. Le design était vraiment trop cool pour qu’on l’abandonne, il a donc fallu trouver une justification. Ca n’a pas été facile !(rires)
C’est pour vous, Ken, que c’est le plus dur, non ? Rassembler tout ce contenu et en faire quelque chose d’amusant ?
Ken Rolston : Totalement. Rien que pour le système de combat, il a fallu créer deux à trois plus de contenu que dans mes précédents RPG. Et ça, ça coûte beaucoup d’argent ! De plus, il a fallu embaucher des gens spécialisés en mécaniques qu’on n’utilise jamais dans les RPG. On a Joe, notre spécialiste des animations. Lui, comprend ce que signifie d’avoir tel nombre de mouvements par seconde, l’implication de ces animations dans les combats. Et quand il m’explique, à moi qui suis dans le métier depuis vingt ans, que ce sont de formidables opportunités pour ouvrir le jeu, je l’écoute, comme un bleu. Pour moi, c’est la terreur, la terreur à tous les niveaux de production…
Todd McFarlane : Et de l’enthousiasme !
Ken Rolston : Oui, de l’enthousiasme insouciant, enfantin ! (rires) Mais j’ai appris plusieurs choses. De Todd par exemple qui, alors que tous les créatifs tendent à imaginer des créatures gigantesques, m’expliquait : « Si tu ne peux pas rendre excitant n’importe quel personnage que le joueur rencontre, tu ne pourras jamais faire de ton univers quelque chose d’amusant. » Oui, j’apprends beaucoup en ce moment !
R.A. Salvatore : Ce qui est intéressant, c’est que, depuis le début du développement, les jeunes talents qui constituent 38 Studios n’ont de cesse de nous pousser dans nos retranchements. Quand les game designer qui travaillent avec Ken sont venus me voir pour me présenter leurs quêtes annexes, j’ai été étonné par la qualité de leur travail ! Et ils m’ont obligé à rendre un travail encore plus chiadé…
Travailler sur ce genre de jeu, un RPG, demande-t-il une équipe plus structurée ?
Ken Rolston : Oui, c’est comme recréer la communauté de l’anneau ! (rires) Plus sérieusement, lorsqu’on a recruté, on s’est focalisé sur les qualités de communication. Cela semble évident, mais de nombreux développeurs ou artistes préfèrent rester dans leur coin. Par exemple, je croyais être un dieu, et savoir parfaitement comment esquisser un décor et sa narration aux membres de l’équipe. Et puis Coleen est arrivé. Plus jeune que moi, moins expérimenté, mais quand il m’a montré comment il gérait ce genre de communications, j’ai rougi de honte. C’était tellement mieux que tout ce j’ai fait !
Todd McFarlane : Moi, je leur ai expliqué qu’il ne fallait pas se satisfaire de copier les autres. « Ah, il y a World of WarCraft, on pourrait imaginer une charte graphique identique ? » Okay, pas besoin d’être beaucoup plus original, il suffit que chaque développeur, que chaque graphiste apporte un peu de sa personnalité pour que le résultat soit différent, original.