La longue interview: Dylan Cuthbert

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Fondateur de Q-Games (la série PixelJunk sur PSN), Dylan Cuthbert est aussi le créateur génial, programmeur fou responsable de Starfox sur Super Nintendo. Rencontre avec l’un des premiers anglais à avoir travaillé avec Gunpei Yokoi et Miyamoto !

(entretien paru dans Joypad 209, décembre 2009)

Quel a été votre premier contact avec le jeu vidéo?

J’imagine que je vais paraître un peu cliché, mais c’était Pong! J’étais très jeune à l’époque, je ne m’en souviens pas très bien. Mon oncle l’avait à la maison et j’y jouais avec lui. Après ça, des amis qui habitaient deux maisons plus bas dans la rue ont acheté une console Intellivision et je passais assez souvent chez eux pour jouer. J’ai aussi des souvenirs de parties de Space Invaders au complexe municipal sportif de Chester (NDLR : en Angleterre). Il y avait une borne d’arcade près de leur café, j’y passais des heures… J’ai été accroché dès le début. Les jeux vidéo, c’était vraiment cool et, en même temps, terriblement surréel, tellement nouveau.

Là, ça a été le déclic? Le désir de programmer est venu de ce premier contact?

Oui, clairement, mais j’avais surtout envie de jouer encore plus! Le truc, c’est qu’à l’époque, les ordinateurs programmables sont devenus populaires, peu chers, et qu’il était facile pour un gamin comme moi de mettre de côté suffisamment d’argent de poche pour s’en procurer un. Je me suis donc acheté un Spectrum ZX-81 avec son pack de mémoire de 16k pour 65 Livres, et j’ai tout de suite commencé à taper les listings de programmes que l’on trouvait dans les divers magazines dédiés aux jeux vidéo. En fait, je n’avais plus d’argent pour acheter des jeux! Très rapidement, j’ai appris à créer mes propres divertissements sur ZX-81… Je suis d’ailleurs l’auteur d’un très, très mauvais clone de Pac-Man.

Vous avez commencé très jeune en postulant dès 16 ans chez Argonaut!

En fait, j’ai été engagé à dix-sept ans, mais j’ai postulé à seize, quelques jours avant mon dix-septième anniversaire… Je n’ai pas été retenu dans un premier temps: je n’avais qu’un shoot them up en 2D sur ZX Spectrum à leur montrer – une sorte de mélange entre un vieux jeu nommé Starquake et Turrican, le hit de l’Amiga. J’en étais très fier, mais ils cherchaient des programmeurs pouvant se débrouiller en 3D. A peine rentré à la maison, je me suis mis à travailler sur le sujet sur mon Amiga. En quelques semaines, j’avais accouché d’un rasteriser (NDLR : programme de transformation d’une image vectorielle en image matricielle) en me servant du livre ZX Spectrum ROM Disassembly (consultable à cette adresse : ftp://ftp.worldofspectrum.org/pub/sinclair/books/CompleteSpectrumROMDisassemblyThe.pdf ) où j’ai dérobé l’algorithme de tracé de segment de Besenham (http://fr.wikipedia.org/wiki/Algorithme_de_trace_de_segment_de_Bresenham) pour créer les crêtes des polygones. Là, j’ai mis en chaîne chaque ligne de pixels en utilisant le processeur graphique de l’Amiga. J’ai envoyé une démo contenant quelques objets rendus de cette façon, et quelques semaines plus tard j’ai reçu un appel de Jez (NDLR : Jez San, co-fondateur d’Argonaut Software) me demandant de venir travailler la semaine suivante. Le reste, c’est de l’histoire…

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Tout de suite après Starglider II, vous créez un moteur 3D pour le Game Boy. Etait-ce un développement personnel ? Pourquoi avoir développé ce genre de technologie pour une console portable ?

Jez a pu mettre la main sur les premiers prototypes du Game Boy, et il voulait absolument développer un moteur 3D dessus. Aussi, il m’a assigné à cette tâche comme j’étais calé sur le Z80, le processeur du ZX81 et du Spectrum, et que le Game Boy était architecturé de la même façon. Précédemment, j’avais déjà réussi à lancer ce genre d’application en utilisant le processeur sonore 12-bit du Konix Multisystem (NDLR : une console intégrant siège baquet et autres accessoires qui n’est jamais sortie). Je me suis servi de cette précédente expérience pour rendre des graphismes en fil de fer sur l’écran du Game Boy.

Savez-vous comment Miyamoto en a entendu parler ?

Jez a montré ma démo Game boy, ainsi qu’une démo que le studio avait créé pour la NES, à Nintendo America durant un des CES. Anthony Harman, aujourd’hui président de Realtime Worlds, venait de commencer chez Nintendo et sentait le besoin de nous aider. Il a donc poussé Nintendo Japon à regarder nos présentations. Deux semaines plus tard, Jez et moi embarquions pour Kyoto pour montrer notre technologie à une trentaine de personnes de Nintendo, dont Miyamoto. Bonjour le stress ! De là est né le FX Chip. D’abord j’ai travaillé avec l’équipe de Yokoi pour développer X pour le GameBoy, tandis que Argonaut créé le FX Chip en Angleterre. Quand le processeur a été prêt, nous commencions à penser au projet Starfox. C’est là que j’ai intégré le groupe EAD de Miyamoto.

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Pouvez-vous nous en dire plus sur le développement de Starfox à proprement parler ? D’où est venue l’idée originale ?
La version originale que nous avions imaginée se nommait SNES-Glider et n’était qu’une extension des idées et concepts de Starglider, notre série de shoot en 3D surfaces pleines sur Amiga et Atari St. Mais Miyamoto n’était pas vraiment content de la jouabilité de ce jeu. A raison, d’ailleurs ! Il voulait plus de performances et rendre le jeu plus accessible. Et il a eu cette vision : il s’est imaginé voler sous la centaine de ponts rouges de l’autel Fushimi Inari qui mènent à Nintendo. L’idée était belle, nous nous sommes aussitôt mis au travail pour donner vie à sa vision. Le résultat, vous le connaissez !

Si l’on en croit Mobygames, un site de recensement des professionnels du jeu vidéo, vous êtes crédités dans les remerciements de Metroid II: Return of Samus sur Game Boy. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Oui, je m’en souviens !  En fait, quand j’appartenais au groupe de Yokoi, le programmeur principale de Metroid II et moi, nous échangions de nombreuses astuces, de nombreux trucs pour exploiter au mieux la machine. Aussi ils ont pensé que me remercier serait… Sympa? En tous cas, être reconnus par eux, c’est vraiment cool!

Après avoir quitté Argonaut, vous avez rejoint Sony (aux Etats-Unis, puis au Japon) et avez travaillé sur les démonstrations techniques de la PlayStation 2. Quitter l’Angleterre, était-ce le meilleur choix ?

Je ne sais pas si ça a été un bon choix… Quand j’étais à Sony USA, j’ai travaillé sur Captain Blasto pour la PlayStation. Bon, j’admets qu’on l’a un peu expédié sur la fin, mais il y avait pas mal de bonnes idées dedans. Mais j’étais quand même heureux de quitter l’Angleterre et je me suis vraiment amusé en Californie. J’ai appris à conduire et je ne manquais pas de rouler sur Pacific Highway One, un des lieux les plus beaux que j’ai vus. Vraiment très inspirant, même si Kyoto demeure l’endroit que je préfère au monde. Vivre en Californie pendant quelques années m’a ouvert l’esprit !

Pour la PlayStation 2, vous avez travaillé sur de nombreuses démonstrations technologiques, comme celle du canard et de la baignoire qui montrait tout ce qu’il était possible de faire avec la machine de Sony.


Oui, à ce moment-là, j’avais déménagé au Japon et je m’amusais avec les tous premiers prototypes de la PlayStation 2. J’expérimentais avec des surfaces courbées en B-spline plutôt qu’avec des modèles polygonaux usuels, et ça m’a permis d’utiliser des éclairages incroyables ainsi que d’autres techniques inabordables autrement. En B-Spline, vous pouvez calculer un vecteur normal pour chaque pixel de la surface de façon très simple… Certaines de mes recherches sur la PlayStation 2 étaient vraiment cool, mais n’ont pas été montrées au public. Par exemple, j’avais créé une goutte d’eau qui coulait sur le canard en plastique. Bluffant. (rires) Pendant la création de cette démo technique, j’ai collaboré trois mois avec Mark Cerny (concepteur de Marble Madness, Crash Bandycoot, et consultant technique pour Sony, Insomniac), c’est quelqu’un de très intelligent, j’ai beaucoup appris de ses méthodes de travail (NDLR : Cerny a été récompensé par la profession en 2004 pour sa « méthode Cerny » où la pré-production tient une place prépondérante pour écourter les temps de développement, voir https://geekomatick.wordpress.com/2013/04/02/mark-cerny-leminence-grise-de-sony/)

Pourquoi avoir fondé Q-Games? Etait-ce le bon moment pour devenir indépendant, pour exprimer vos propres idées?

Depuis mon enfance, je me suis toujours imaginé diriger un studio de développement de jeux. C’était vraiment mon grand rêve! J’ai conservé des bloc notes datant de mon adolescence sur lesquels j’avais esquissé des logos, aligné les noms d’entreprises. Pour moi, c’était une évolution naturelle, le chemin que je devais emprunter, que mon rêve d’enfance se transforme en réalité. Je ne suis pas du genre à regarder en arrière, alors, oui, c’était définitivement la bonne direction à prendre, le bon choix à faire ! Dès l’origine, Q-Games a été pensé pour abriter des développements de jeux de taille moyenne, pas pour créer des blockbuster. La raison est bien simple : je n’aime pas développer ce type de gros jeux. Je préfère largement des productions plus courtes, plus intenses et des titres plus «  concis ». C’est avec ce genre de jeux que tout a commencé dans les années 80, et ils s’avèrent naturellement plus plaisants, agréables à travailler pour une équipe de développeurs. J’imagine qu’il existe la même différence entre les gros films d’Hollywood et les long-métrages d’auteurs…

On ne le sait pas, mais à la manière de Jeff Minter pour la Xbox 360, vous avez produit le Vizualiser de la PlayStation 3… Ainsi qu’une partie de ses fonds!

A l’origine nous avions créé la séquence avec la sphère terrestre pour qu’elle serve d’introduction à l’allumage de la PlayStation 3, mais Kutaragi a décidé, au dernier moment, de la changer pour quelque chose de plus simple. Là, nous l’avons retravaillé pour la rendre encore plus réaliste. Et nous avons persuadé Izumi Kawanishi à Sony de s’en servir comme nouveau visualiser pour la PS3. Au final, ça a été comme une mise à jour en douce puisque la mise à disposition de cette fonctionnalité n’a été annoncée nulle part, même pas dans les notes accompagnant le firmware. Mais vous pouvez facilement la voir, il suffit de lancer un CD dans votre PS3 ! Le « valley » visualiser était, lui, un effort combiné entre le groupe Sony et nous.`

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Passons à la série PixelJunk. Qu’est-ce qui d’après vous la rend si attractive ? Quels étaient les objectifs au début de son développement ? 

Je pense que les graphismes et la musique, très ésotérique, presque cocooning, rendent la série immédiatement identifiable par n’importe qui. Dès le début, nous avons décidé de proposer des graphismes en 2D très fleuris, oui, mais aussi en haute définition, c’est ce qui donne tout le cachet à nos jeux. Ca, plus le fait que l’on utilise une vaste palette de couleurs et des résolutions uniquement accessibles en HDMI. Quand nous avons commencé, peu de gens étaient équipés en télé haute définition… Aujourd’hui tout le monde en possède une, ça nous autorise tellement de choses supplémentaires, de détails…  Je pense que l’expérimentation est une clef du développement. Ca ne veut pas dire qu’il faut nécessairement essayer de tout rendre de façon réaliste, mais plutôt qu’il faut tenter de d’avoir un point de vue artistique. Pour moi, l’art, c’est de l’expérimentation visuelle. Si vous n’essayez pas de découvrir quelque chose de nouveau, vous n’êtes plus un artiste. Dans ce sens, notre recherche technologique est un moyen de trouver de nouvelles ressources, et donc de nouvelles formes artistiques. Si vous oubliez de chercher, vous ne pouvez plus être créatif.

Pour vendre PixelJunk, vous passez par le PSN. Quelle est votre opinion sur ce moyen de distribution ? Certains studios indépendants le voient comme un moyen de toucher une audience plus large, d’assurer leurs arrières en tant qu’indépendants…

Oui, les boutiques en ligne sont vraiment géniales pour les studios indépendants. Pour nous, indé’, ça signifie qu’un jeu n’est pas obligé d’être un blockbuster pour être rentable. Un titre indépendant peut vendre une dizaine de milliers d’exemplaires et rapporter énormément d’argent, suffisamment en tous cas pour mettre en route un nouveau développement et faire tourner l’entreprise. Pour la série PixelJunk, le PSN a été une chance, nous n’aurions jamais réussi sans la mise en place de ce système.

Que ce soit Starfox pour la DS, Digidrive, les PixelJunk, tous ces jeux ont la saveur des vieux titres rétros. Etes-vous retrogamer ? Quel est votre sentiment à propos du retrogaming ?

J’aime énormément de genres de jeux. Je pense que, dans les années 80, les jeux avaient un petit côté abrupt, imprévisible, et j’adore ça. Aujourd’hui, il est vrai que de nombreux titres semblent un peu plat, sans cette saveur que vous décrivez : les éditeurs ont peur d’aliéner leur audience, de l’effrayer par des concepts, des visuels trop différents. A mon sens, ça signifie surtout que ces jeux n’atteignent pas leur vraie forme d’expression, ne vont pas aussi loin qu’ils le pourraient. Evidemment, il est important de rendre vos jeux suffisamment intéressants pour que les gens puissent s’amuser avec, mais il ne faut pas perdre de vue que ces jeux sont aussi une forme d’expression créative.

 

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