Feargus Urquhart: Rôliste dans l’âme

Patron éclairé de Black Isle à sa grande époque, Feargus Urquhart dirige aujourd’hui Obsidian. On a rencontré l’écossais de naissance pour le faire parler de sa campagne Kickstarter et de Project Eternity.

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(paru dans Joystick 260)

Pourquoi vous être lancés dans cette aventure Kickstarter ?

Les succès de Double Fine Adventure et de Wasteland 2 sont évidemment les principales raisons de notre campagne Kickstarter. Le facteur décisif, c’est que nous voulions vraiment faire un jeu comme Project Eternity, et que la seule façon de le lancer, c’était Kicktstarter. Être entièrement propriétaire de notre monde est aussi très excitant.

Ne vous êtes vous pas dit, à un moment, « ça ne marchera jamais ! »?

Nous avons pensé tout le temps à un échec probable. A chaque fois que je dis ça, les gens me regardent, les yeux écarquillés. Mais lancer cette campagne Kicktstarter était effrayant, comme un saut de la foi. Quelque soit votre popularité, tout le monde a des douleurs à l’estomac lors de son premier rendez-vous galant… C’était la même chose ici. En pire… Quant à la campagne elle-même, je pense qu’avoir un plan et un départ forts est nécessaire. Ca créé des moments forts, et ces moments engendrent de l’excitation et les gens en ligne communiquent alors sur ce que vous faîtes. Les réseaux sociaux sont une force incroyable aujourd’hui. Si vous pouvez faire entendre votre voix, et que l’on croit en vous, de nombreuses choses peuvent arriver.

Mais avoir cette équipe de VIP du RPG a dû aider, non ?

D’abord, j’aime entendre dire que je suis un VIP du RPG. (rires) Dans notre cas, oui, ça a aidé. Nous n’avions pas de jeu à montrer, et nous demandions aux joueurs de nous avancer de l’argent, de nous croire sur parole. Ca requiert un certain niveau de confiance, confiance qui s’est construite pendant toutes ces années où nous avons développé des jeux. Cependant, la confiance n’est pas aveugle. Project Eternity devait être quelque chose que les acheteurs nous croient capables de produire. Je pense que le résultat aurait été très différent si nous avions demandé un financement pour un jeu de course free to play.

Et pourquoi un RPG old-school ? Des contraintes financières ?

La première raison c’est que nous voulions vraiment créer un jeu comme Project Eternity. Plus personne n’en fait depuis une décennie, et nous avions le sentiment qu’il était grand temps que ce genre fasse son come back. Pendant des années, on nous a demandé pourquoi il n’y avait plus de jeux tournant sous le moteur Infinity (NDLR : créé originellement pour le premier Baldur’s Gate par BioWare, puis repris par Black Isle pour Icewind Dale, Planescape: Torment) et nous n’avions aucune raison à donner, si ce n’est que plus personne ne l’utilisait. Le budget est une autre raison. Malheureusement, il est impossible de créer un Skyrim, jeu génial au passage, pour 1,1 million de dollars. Le financement des jeux tombe généralement dans trois catégories : 1) les jeux consoles AAA entre 20 millions et 200 millions de dollars, 2) les jeux sociaux et mobile tournant autour de 500.000 dollars et 3) les jeux à licence comme Transformers, entre 3 et 10 millions. En bref, Project Eternity erre dans une sorte de no man’s land du financement.

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Qu’entendez-vous par Old-school d’ailleurs ? Souvent, ça signifie : « truc mal fini » !

Notre objectif principal est de rester fidèle à ce qui rendait génial les jeux Infinity Engine. Cependant, les jeux vidéo ont progressé durant les dix dernières années, et nous avons de même beaucoup appris. Ce qui ne signifie pas que nous allons le rendre casual (NDLE: « dumbed down » en anglais,  soit la frayeur de tous les CRPGistes) Ca signifie que nous pouvons améliorer certains aspects de l’interface, les contrôles ou les graphismes tout en conservant intact le feeling Infinity Engine. Les graphismes, par exemple. Les jeux originaux se basaient sur des grilles d’écran en 640*480 ou 800*600. Nos niveaux sont rendus en 6*6 grilles d’écran en 2560*1400. Aussi, un niveau de Project Eternity disposera de 132 millions de pixels contre 11 millions pour Icewind Dale.

Le succès de votre Kickstarter signifie-t-il que certains joueurs ne se reconnaissent pas dans ce qui est proposé aujourd’hui ?

C’est une bonne question. J’ai l’impression qu’il y a de moins de moins de vrais RPGs développés chaque année. JRPGs à part, j’ai l’impression qu’il n’y en a eu que deux en 2012 : Mass Effect 3 et Diablo 3. Et, là, tout de suite, certains de vos lecteurs doivent se dire : « Ce ne sont pas vraiment des RPGs » Personnellement, je ne suis pas d’accord, mais je comprends cette sensation, son origine. Cela signifie surtout qu’il y a un groupe de joueurs, plus important qu’on ne l’imaginait, qui n’a pas l’impression qu’on lui propose des jeux pensé pour lui.

Avez-vous appris de vos précédents jeux, d’Alpha Protocol, par exemple ?

Nous avons beaucoup appris d’Alpha Protocol, mais nous avions surtout beaucoup à faire pour créer un gameplay autant orienté action, et des niveaux adaptés. Nous avons aussi continué de faire évoluer notre système de conversations, d’influence, tout en nous assurant que les choix du joueur impacte vraiment le jeu. Ce que nous avons surtout appris de cette expérience, c’est qu’il nous faut définir ce qu’est et ce que n’est pas un jeu, et itérer, prototyper le plus rapidement pour valider, ou non, ces décisions. La première chose que nous avons fait pour Project Eternity, c’est de définir cette base.

Mais développer un jeu autour d’un « feeling de moteur », n’est-ce pas un peu contraignant ? Je veux dire, ça vous inscrit dans des attentes, dans des mécaniques précises…

Ce qu’il y a de génial avec les RPGS, c’est qu’il ne s’agit pas que d’histoire ou de personnages. Le combat est aussi très important pour de nombreux genres, comme les RPGs. Cependant, un de nos jeux les plus appréciés, Planescape : Torment, ne se concentrait pas sur cet aspect. Avec Project Eternity, nous avons la possibilité de développer un jeu incroyable sans pour autant nous sentir restreint par le moule des jeux Infinity Engine, son orientation combat.

SI l’on en croit certains joueurs, des Dragon Age II ou des Mass Effect 3 sont devenus trop casuals, trop faciles. N’est-il pas étonnant de voir ces jeux rejetés alors que leurs développeurs et éditeurs font le maximum pour les rendre aussi intéressants que possible ?

Voilà une question difficile. Je pense que le challenge actuel dans la production de jeu aujourd’hui c’est que si vous voulez un budget de 20 à 50 millions de dollars pour créer un jeu AAA sur console, vous avez besoin de 2 à 10 millions de ventes pour être considéré comme un succès. D’où discussions, débats, conflits au sujet de comment doit fonctionner le jeu pour vendre autant. Autrefois, nous n’y pensions pas du tout. Nous nous concentrions sur ce que voulions voir dans le jeu, ce que nos amis, ou nos fans, quand les forums sont apparus, pensaient. Mais, dès que l’on parle jeux AAA, beaucoup de gens dépendent de vous pour obtenir le bon mélange de vieux et d’actuel. Un équilibre pas facile…

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J’ai d’excellents souvenirs de parties d’Arcanum où je jouais un personnage idiot. Pourra-t-on vivre ce genre d’expériences dans Project Eternity ?

Ce qu’il y a de bien avec ce genre de projets, c’est que Chris Avellone et les autres scénaristes vont être libres d’écrire autant qu’ils le veulent, ainsi que de créer les dialogues les plus profonds, réactifs et complexes possibles. Je ne sais pas si on pourra y jouer un personnage idiot, mais les dialogues refléteront les actions et décisions du joueurs.

Pour les joueurs de RPGs, les règles sont très importantes. Project Eternity ira-t-il plus vers un système de classes (à la AD&D) ou vers un système de compétences (à la BASIC de Chaosium) ?

Nous avons eu de nombreuses expériences, avec différents systèmes. Tim Cain et moi avons designé le SPECIAL de Fallout, et nous avons travaillé avec de nombreuses versions de D&D, d20, 2ème, 3ème édition, voire la 3.5. Sur Project Eternity, nous utilisons un système basé sur les classes avec points d’expérience. Cela nous permet un jeu se concentrant sur l’équipe, où les rôles distincts sont indispensables et où les points d’expérience, répartis de manière similaire, permettent au groupe d’avancer d’un tenant.

Vous est-il possible de me parler de l’évolution des équipiers ? Ce que j’adorais avec Planescape, par exemple, c’était la possibilité de les améliorer grâce à des objets ou des arbres de dialogues…

Oui, les personnages qui accompagnent le joueur évolueront durant l’aventure. Nous avons limité leur nombre à huit, de façon à ce que le joueur puisse passer du temps avec eux et découvrir ce que nous concocté pour chacun. Et pour comparer avec Planescape, oui, il y aura des évolutions liées strictement aux dialogues. A cela, il faut ajouter des quêtes personnelles pour résoudre leurs problèmes ou les transformer en quelque chose d’autre… Notre modèle est en fait plus Baldur’s Gate 2 que Planescape.

Ce Kickstarter a marché, mais pensez-vous réitérer ce genre de campagne pour vos (petits) RPGs, tout en continuant à travailler avec les éditeurs traditionnels pour de plus gros projets ?

C’est exactement notre plan, jouer sur ces deux tableaux. Proposer des jeux comme Project Eternity d’un côté pour une base hardcore, et travailler sur des jeux peut-être plus abordables pour des éditeurs.

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