Pour sa virée dans les ténèbres de l’âme humaine, Spec Ops joue avec la moralité du joueur. Un pari risqué ?
(Il s’agit ici d’une preview de Spec Ops: The Line pour l’officiel PlayStation 140, mais qui, après lecture quelques années plus tard, aurait tout aussi bien pu servir de test/critique)
Amoral. Les jeux à choix moraux semi-dirigés auraient-ils fait leur temps ? C’est clairement la question que pose Spec Ops : The Line. En effet, si l’on passe sur ses atours de TPS classiques (système de couverture, tir en aveugle, ordres simples aux coéquipiers), le premier jeu des berlinois de Yager efface d’une main une décennie de jeux à pseudo-choix. Si, si, vous savez, ces Mass Effect, ces BioShock où l’on doit se décider entre seulement deux-trois pseudo-possibilités préétablies… Spec Ops : The Line, lui, opte délibérément pour une autre voie, expérimente avec les outils narratifs du genre pour mieux questionner le joueur. Le but ? Simple, selon François Coulon, réalisateur et producteur: faire vivre l’horreur de la guerre. Et quoi de mieux que la narration linéaire d’un Apocalypse Now de Coppola ou d’un Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad pour ce faire ?
En ligne droite, le long de la Sheik Zayed Road à Dubaï, la progression de Walker, Adams et Lugo est vite entachée de sales rencontres, d’affrontements armés contre des milices, puis contre le 33ème que l’équipe était originellement venu secourir. Le reste, on vous le laisse découvrir puisque Spec Ops ne propose qu’une campagne solo longue d’une (petite ?) huitaine d’heures. Et puis, parce que ce qui ressort vraiment de ce long contact, c’est l’attrait de Yager pour la manipulation de la grammaire et du vocabulaire du genre TPS, voire du jeu vidéo, pour plonger le joueur dans cette pérégrination. D’ailleurs, en fait de montrer l’horreur de la guerre, ses ténèbres morales et humaines, Spec Ops vous y enfonce profondément, un centimètre à la fois. Parce que chez Yager, on a disséqué les inclinations du joueur, ses habitudes, pour mieux le retourner comme une crêpe, jouer avec lui, avec sa morale et ses nerfs. Vicieux.
Outils narratifs. Dans Spec Ops, tout repose donc sur la découverte, l’expérimentation personnelle des dispositifs émotionnels créés par le studio. Après avoir joué, après avoir observé d’autres joueurs, on s’est rendu compte qu’il y avait du génie à l’œuvre. Comme lors de l’apparition de ce trophée « Obéir aux ordres » qui vous laisse un sale goût dans la bouche, comme cette civile qui meurt de notre main alors qu’on est emporté par l’action, comme cette arme dont vous ne voulez pas vous servir car vous en connaissez parfaitement les conséquences… Des images –corps brûlés, visages cloqués, civils massacrés, exécutions sommaires-, oui, des images qui hantent longtemps après la partie. En fait, l’approche de Yager se révèle bien plus subtile et pertinente que n’importe quelle fin de Mass Effect, puisque Spec Ops oblige le joueur à vivre avec ses choix, qu’il s’inscrit dans le gameplay même du jeu et du genre. Oh, oui, ceux qui joueront à Spec Ops : The Line n’en ressortiront pas indemnes.