Aujourd’hui exilé à Shanghai, l’ex-level designer de Doom et Quake au nom férocement marketé ressort l’héroïne de Lewis Carroll de sa tombe vidéoludique. De contes en jeu, de fééries en cauchemars, McGee s’entretient sur les recettes et méthodes pour donner vie et/ou ressusciter l’icône d’un non-sens très britannique. Sans y plonger forcément. Parce que du pays de la folie, il faut un couteau bien aiguisé pour en revenir…
(Interview parue dans l’officiel Xbox 68, pour la sortie d’Alice: Retour au pays de la Folie)
Souvenez-vous. En 1999, comment a émergé l’idée d’une suite vidéoludique aux livres de Lewis Carroll ?
EA m’avait demandé de créer une nouvelle franchise dans le genre shooter à la 3ème personne/FPS. Alors que je pensais à cette tâche, j’ai pris la voiture pour rouler sur la Highway 1 (NDLR : autoroute qui suit la côte pacifique), sans aucun doute l’un de plus beaux paysage au monde. C’est durant cette virée qu’une chanson, Trip Like I Do de The Crystal Method, m’a inspiré l’idée d’un « Dark Land of Wonder » De cette idée originale, le concept d’Alice a émergé et grandi, semblant à la fois évident et logique dès le début.
Est-il plus simple d’adapter des contes de fées que de créer de nouvelles franchises ?
Pas sûr que cela soit plus facile ou moins risqué, mais cela aide à immerger plus rapidement le public dans l’expérience. Quand les joueurs ont une compréhension a priori du monde et des personnages, il leur plus aisé de s’impliquer émotionnellement ou intellectuellement. Mais, que vous créez un univers à partir de rien ou que vous réutilisez quelque chose d’existant, présenter une histoire engageante, et les difficultés qui y sont liées, demeurent. Avec Alice, il y a un vrai risque dans l’adaptation : en changeant trop d’éléments vous risquez de vous aliéner une partie du public. C’est pourquoi nous essayons de maintenir une cohérence avec les fictions originales ou avec les personnages.
Concernant cette réinterprétation de 1999, quel a été le lieu ou le personnage le plus difficile à ré-imaginer ?
Alice était la clef du puzzle. Tout dérivait de son histoire, de son design. Nous sommes donc passés par de nombreuses interprétations artistiques avant d’en arriver au personnage que vous connaissez. Une fois que nous avons compris qui elle devait être, nous avons compris tout le reste : le monde, les personnages secondaires et l’histoire. Tout changement de ce design aurait résulté en une transformation radicale du produit.
Créer la suite d’une œuvre culte provoque souvent des attentes démesurées. Quels sont les pièges à éviter dans ce genre de développement ?
Nous étions pleinement conscients de tous les pièges qui nous attendaient en développant la suite d’un jeu aussi apprécié. Dès le début, nous avons intégré l’idée que toute violation des personnages ou du ton établi par le premier jeu était interdite. Ce jeu devait être ressenti comme une progression naturelle du concept d’Alice. Ce qui signifiait éviter l’innovation pour le salut de l’innovation, ou, plus simplement, ne pas gâcher ce qui participait aux fondements du premier jeu, et qui marchait. En même temps, nous savions qu’il y avait quelques défauts dans le premier jeu… Parmi les pièges à éviter, il y avait la tentation d’être plus violent, ou plus gore – de nombreuses licences ont pris ce chemin- ou d’attirer encore plus les joueurs hardcore… De fait, Alice : Retour au pays de la folie reste fidèle au premier volet, que ce soit par son design, sa narration…
Pensez-vous que les contes de fées sont suffisamment denses pour être adaptés à toutes les sauces ?
Les contes de fées sont une combinaison d’éléments narratifs anciens, contenant les leçons apprises par les générations précédentes, racontées dans le but d’enseigner. Ils contiennent donc tout ce dont a besoin un conteur pour créer une histoire captivante. C’est une ressource intarissable sur laquelle de nouveaux contes peuvent se baser. Le nombre gigantesque d’adaptations en est la preuve flagrante.
L’écrivain James Joyce disait que tout roman doit être retraduit tous les 20 ans. Diriez-vous que les contes de fées peuvent, eux, être réinterprétés à volonté ?
Il est aussi dit qu’il n’y a pas d’idées originales. Tout et n’importe quoi peut être réinterprété à volonté. La réinterprétation n’est que la transposition d’une chose dans le contexte d’une société sans cesse mouvante et changeante. Rien n’est vraiment statique.
Pourquoi avoir fait d’Alice un jeu d’action, les précédentes adaptations tournaient souvent du côté du jeu d’aventure ?
Le premier Alice reposait sur quatre composantes : art, narration, action et puzzle, l’exploration était aussi une grande part de l’équation, mais c’est presque une nécessité dans ce type de jeu. La principale raison de cette approche « Action » était que le histoire allait dans le sens du changement, et nécessitait un personnage central capable de se battre, avec ses muscles, avec des armes, pour retrouver sa santé mentale.
Avez-vous tenté d’autres approches ?
Alice : Retour au pays de la folie est une véritable suite, à tous points de vue. Notre but était de créer un pont entre le jeu original et ce volet. Il y a évidemment de nombreuses manières de proposer ce conte (ou tout conte que ce soit), mais l’action fait toujours sens dans la perspective d’un personnage comme Alice.
Les romans de Lewis Carroll usent de nombreux non-sens. Comment appliquer cela au jeu vidéo ?
Tout ce qui concerne ce non-sens est prodigué par la direction artistique et l’histoire. Je me suis rendu compte que les mécaniques de jeu qui tendent vers ce non-sens deviennent rapidement frustrantes et ennuyeuses. Les joueurs s’attendent à des mécaniques solides, prévisibles. Evidemment, on vous réserve quelques surprises pour ce nouveau voyage… De fait, on se repose sur les dialogues et sur certains évènements pour répandre un peu de folie, et le résultat, comme vous le verrez, est souvent drôle, parfois inquiétant.
Pensez-vous qu’il y avait des choses qui n’allaient pas dans le premier Alice ? Lesquelles ?
Ecouter les avis des fans, et des détracteurs, du premier Alice émis pendant les dix dernières années nous a permis de comprendre quelles sections méritaient d’être améliorées pour que le jeu soit plus apprécié encore. La critique typique pointait du doigt le manque de variété du gameplay – un simple slasher-, et des moments où la difficulté suivait des courbes irrégulières. Pour la jouabilité, nous avons imaginé un système de combat qui traite les ennemis comme des puzzles, demandant une application stratégique des armes et des compétences pour être défaits. Pour la difficulté, les modes ont été mieux répartis pour satisfaire tout type de joueur.
Quand on développe un jeu inspiré d’un conte, sur quoi se focalise-t-on principalement?
L’histoire et la patte artistique viennent en même temps. Avec Alice, ces éléments ont été éprouvés durant le développement du premier jeu. Aussi nous n’avions qu’à les comprendre et à poursuivre dans la même direction. Quand vous travaillez sur quelque chose de nouveau, l’approche est de mixer art, histoire et mécanismes. Personnellement, je commence toujours par le concept principal (l’histoire), puis je compte sur nos artistes pour rajouter quelques idées, et enfin j’amène le design dans la mixture. Ca marche plutôt bien avec des jeux d’envergure où l’histoire et l’art doivent maintenir l’intérêt pendant de nombreuses heures. Quand on s’intéresse à des jeux plus petits, c’est généralement le contraire : commencer par les mécanismes et enrober le tout de narration et de graphismes.