Dream Team et visuel accrocheur, Reckoning donne un coup de pied dans la fourmilière RPG. (paru dans PlayStation Magazine n°49, juin 2011, il s’agissait de la première présentation mondiale du jeu, dans les locaux de 38 Studios à Baltimore. Seuls quatre journalistes européens étaient conviés. )
Renouveler le RPG, autant graphiquement qu’en termes de gameplay : le challenge serait sans doute déjà de taille pour un studio renommé, un collectif chevronné dans le genre. 38 Studios n’est rien de cela. Et pourtant, l’équipe basée à Timonium, non loin de Baltimore, a de grandes ambitions pour son premier jeu, Kingdoms of Amalur : Reckoning. En fait, si elle n’a que cinq années d’existence derrière elle, ses membres éminents, nommés « visionnaires » pour satisfaire à quelque exigence marketing, alignent des CV à faire pâlir un Bethesda ou un Bioware. Pensez-donc : R.A. Salvatore, l’écrivain et créateur de Drizzt Do’Urden a pris en charge et imaginé les 10.000 ans d’histoire du monde d’Amalur, Todd McFarlane, le dessinateur de Spawn s’est attelé à rendre les animations, décors et les poses aussi évocateurs que possibles. Enfin, lead designer d’Oblivion, Ken Rolston a pour mission de donner vie, de créer de la narration environnementale et dialoguée dans cet univers imaginaire. Tout cela est bien beau, mais de quoi parle Kingdoms of Amalur : Reckoning ?
Résurrection. A peine la première cinématique s’est-elle achevée que le joueur de RPG se sent en terrain connu. On y retrouve la désormais classique création de personnage (quatre races dérivées de l’humain ou de l’elfe), ainsi qu’une mise en situation faisant table rase de son passé. Ramené d’entre les morts, ressuscité par un gnome et son puits des âmes, s’extirpant d’une pile de cadavres, l’avatar du joueur est aussi dépouillé de son destin. Or, dans le monde d’Amalur, tous les êtres vivants doivent accomplir leur destinée. Dilemme. Au joueur alors de comprendre les implications de sa renaissance alors que la magie réapparait dans les cinq contrées d’Amalur, que les dragons refont parler d’eux, ou qu’un second puits des âmes, érigé par un gnome maléfique, a été découvert.
Comics Live. Plus que par son scénario, à peine dévoilé, c’est véritablement par sa charte graphique, par son esthétique propre que Kingdoms of Amalur : Reckoning se distingue de la masse de RPG photo-réalistes. Loin des canons imposés par Oblivion ou Mass Effect, l’œuvre de 38 Studios lorgne en direction du dessin animé, de World of Warcraft ou de DarkSiders, avec ses aplats de couleur, ses teintes très colorées, le design de ses cent vingt donjons, de leurs architectures et portails titanesques. Et puis, Amalur regorge de vie : dans les villes, oui, où les citoyens se déplacent, tout à leur activité, mais aussi dans les forêts, donjons ou marécages où de multiples animations de la flore (vent dans les frondaisons, dans l’herbe haute) ou de la faune (oiseaux et papillons qui passent au premier plan) font illusion, créent une atmosphère propice à l’émerveillement. Même les créatures font preuve d’originalité, comme cette Barshean, sorte de poisson-serpent invoquant des serviteurs et ayant le pouvoir d’opérer à une attaque combinée avec ceux-ci, ou ce Troll massif, mini-boss d’une des ruines Erathi. Et 38 Studios nous promet des adversaires plus coriaces, plus grands, plus étranges encore !
Tout en action. Passé le choc graphique, ses couleurs claires, flashy, étonnamment présentes même dans les zones les plus sombres d’Amalur, Reckoning convainc par un second choix : l’emploi d’empoignades dynamiques, héritées de beat them all comme God of War. Attaques, contres, parades, combos en utilisant plusieurs armes et sorts à la suite, ces affrontements jouent autant la carte de l’agressivité que celle de l’accessibilité. Conséquence logique, 38 Studios a opté pour une vue à la 3ème personne, et donc pour des animations complexes, variées (voire notre interview de Todd McFarlane). Un vrai bonheur visuel! RPG-istes, n’ayez cependant aucune crainte, les royaumes d’Amalur n’oublient jamais de satisfaire nos envies, et appuyer simplement sur les boutons, sans trop réfléchir, devrait suffire pour avancer sans trébucher ! Du moins, pour peu que notre personnage ait atteint le niveau d’expérience minimum. En effet, la difficulté de chaque zone, de chaque donjon du jeu est, comme dans Fallout 3, calculée, et fixée, en fonction du niveau du héros lorsqu’il l’aborde la première fois. Si le challenge est trop difficile, y revenir un peu plus tard, plus expérimenté, permettra de les nettoyer sans trop ciller.
Très RPG. Mais, à parler esthétique et combats, on en oublierait presque de rappeler un fait, une évidence : Kingdoms of Amalur : Reckoning est un vrai RPG, avec trois arbres de compétences (Might pour les guerriers, Sorcery pour les magiciens et Finesse pour les voleurs), sa gestion d’inventaire complète, ses puzzles physiques, ses dialogues à embranchements – grâce à un système que les développeurs gardent encore secret-, ses nombreuses sous-quêtes, ses donjons multiples et variés… Ajoutons quelques dizaines de livres narrant les 10.000 ans d’histoire d’Amalur, des compétences d’artisanat (runes à trouver pour améliorer ses armes, herbes à récolter pour concocter des potions) ou des mini-jeux (crochetage), et Reckoning semble déjà remplir toutes les attentes des joueurs du genre. Pour un titre à la date de sortie fixée pour 2012, ce premier contact laisse augurer du meilleur, d’un pas de plus vers un mix action/RPG. On a hâte !
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Todd McFarlane
Dessinateur de génie, homme d’affaires avisé, le créateur du super-héros Spawn nous explique son implication dans Kingdoms of Amalur : Reckoning.
Comment avez-vous été approché par 38 Studios?
Comme vous le savez peut-être, je vis à Phoenix dans l’Arizona, et Curt Schilling, le fondateur du studio, était dans l’équipe de Base-ball des Diamondbacks à… Phoenix. On se connaissait de vue, on fréquentait un peu les mêmes lieux, les mêmes émissions de radio (NDLR : Todd McFarlane est aussi le directeur de McFarlane Toys, plus gros producteur de figurines de Base-ball). Aux Etats-Unis, Curt est une star ! Puis, un jour, le téléphone sonne : « Allô, c’est Curt. J’ai peut-être une proposition pour toi, un boulot qui concernerait ma reconversion. Dans le jeu vidéo ! » Je lui ai répondu, « si tu veux que je ne m’occupe que du design, en freelance, ça ne m’intéresse pas. Par contre, si je peux réaliser et donner mon opinion sur les concepts, les personnages, les décors, le son, les effets spéciaux, les mouvements… Alors, là, je suis ton homme ! » Il ne suffit pas de livrer un bon dessin pour qu’il sonne juste, une fois animé. C’est pour cette raison que je voulais avoir un contrôle artistique total.
Cela veut-il dire que le monde de Reckoning ressemble à votre travail ?
Non. Quand je suis venu la première fois ici, j’ai formellement demandé à ce que Reckoning soit différent de mon style visuel. En fait, nous nous sommes demandés ce qu’attendraient les joueurs, et comment nous pouvions aller au-delà de ces attentes. Plus loin dans l’aventure, vous verrez sûrement des lieux où vous vous direz : « Ca, c’est signé McFarlane ! » Mais ce n’est qu’une toute petite partie du monde. Si vous connaissez mon travail, mes comics, mes dessins animés, vous savez qu’aucun de mes projets ne ressemble à l’autre. A mon sens, l’important, c’est de rendre le projet excitant auprès des joueurs, pas de le faire ressembler à mes comics.
Peut-on dire que vous êtes le spécialiste de l’animation sur Reckoning ?
Oui. Dans les comics, tous les personnages ont ce côté « dramatique », ces poses plus grandes que nature, ce que j’appelle le « Broadway Acting ». Parce qu’à Broadway tout est exagéré : les mouvements, les attitudes, de façon à ce que les spectateurs au fond de la salle puissent comprendre ce qu’il se passe sur scène. Dans les comics, ces poses donnent plus de dynamisme aux cases…
Et comment applique-t-on ça au jeu vidéo ?
Dans le mouvement. Une épée à deux mains, c’est lourd, toutes les parties du corps se déplacent, tous mes muscles sont mis à contribution, pas seulement les bras. (NDLR : Todd McFarlane se lève, bombe le torse, serre les dents et mime un combat à l’épée) Là, à la fin du mouvement, il y a une seconde où il faut reprendre son souffle, avant de repartir. C’est ce que j’ai enseigné à l’équipe d’animateurs, ici : à mimer les actions avec leur propre corps, avant de les reproduire. Parce que le corps recalcule son poids et son équilibre à chaque mouvement. Et ça, je ne l’ai jamais vu dans un jeu vidéo, alors que je fais ça tout le temps pour créer nos figurines ou mes comics !